Z - DAYS 70 TO 72


Je n'ai pas paniqué
J'ai temporairement perdu la capacité de dire :
« Je ne panique pas »
Lors d'un petit effondrement du centre
Qui, sans effort, retient la chute
Normalement
Et qui là a cru malin de prétendre
Qu'il avait besoin d'aide

Je me suis précipité à son secours
Comme s'il avait besoin de moi
Comme si je tenais à lui

Une fois arrivé sur place je n'ai pas su quoi faire
Sans doute parce qu'il n'y avait rien à faire
Mais aussi parce que je n'aurais jamais pu
Faire ce que le centre fait
Normalement
Sans effort
Parce que je ne peux que faire des efforts
Et non faire sans effort
Ce que le centre s'amuse à l'occasion
À prétendre ne plus savoir faire
Apparemment
Pour voir de quoi je suis fait

Or je suis fait de toutes les angoisses
Retenues par mes efforts de faire ce qu'elles font
Sans effort
À mon corps
Dès que je dois relâcher ma vigilance
Pour voler au secours du centre
À l'occasion
De ce qui doit être
De ce qui ne peut qu'être
Une épreuve
De plus
Dans un parcours
Entamé un soir de janvier maudit
Repris un jour de janvier fautif
Annulé à l'heure où le sort
Fera l'effort
De s'inverser dans la lumière
Du centre redevenu bénin

En attendant cette heure opaque
J'ai la transparence des chutes
La sueur du jeu des viscères
Le vertige des mots qui suivent
Sans jamais rattraper ce qui les jette

Je ne panique pas
Je deviens momentanément fébrile
Mes organes partent dans tous les sens
Mes sens partent dans tous les organes
Je sens le noir du coma du centre
Je vois l'estomac qui crie
J'entends les sifflements de mes veines
Je frissonne en avalant l'eau douce de mes gencives ouvertes

Le temps passe
Avec tout l'effort d'un résidu surgi de rien
Qui s'érode en trace insolente
Invisible et pourtant si fraîche

Le retour au centre des traces
Se fait par ce qui l'efface
L'arrivée au bout du présent solide
Se fera par le futur vide


Une fois de plus, toute la panoplie…

Mercredi est une journée étonnamment calme, peut-être la meilleure depuis longtemps. Pourtant, il fait lourd et humide, je transpire en sortant de la piscine. Mais j'ai à peine mal. Je ne chie pas de la journée après avoir fait un gros tas de merde la veille à 10 h du soir, et ça explique sans doute en partie le « calme » relatif. J'ai la tête relativement claire. Je dois sortir deux fois et ça se passe bien. Les repas passent sans difficulté. Il n'y a guère que le retour progressif du mal de dos en toute fin de soirée pour me faire douter de nouveau un peu que ça va durer.

Je dors bien.

Au réveil, c'est déjà une autre histoire. On semble être revenu à la dose habituelle de douleur. Ça se confirme dans la matinée, même si ça ne semble pas être catastrophique. Je me fais une petite popote sans forcer et ça descend disons « normalement » dans les circonstances. Je retourne au travail. Et couac. À 13 h 30, alors que j'étais simplement en train de travailler, sans penser à quoi que ce soit de particulier, il y a quelque chose qui se casse (« something snapped » le décrit mieux, en anglais). C'est la panique. C'est une crise de panique. Ça n'a pas de sens. Ça fait des semaines que je n'en ai pas eu. J'ai peut-être ressenti de l'anxiété, mais je n'ai pas fait de crise. Et puis je prends ces 200 mg de Z et ce calmant le matin. Ça n'a pas de sens. Et pourtant ça a lieu, ça se produit. Et je ne peux rien faire. Je respire lentement, j'essaye de calmer mes pensées, il n'y a rien à faire. C'est comme s'il y avait quelque chose qui s'effondrait à l'intérieur. Et ça fait peur. Ce n'est pas plus facile à décrire que ça. Et ça dure. Quelques minutes plus tard, S. m'envoie un message via AOL (j'avais oublié que j'étais branché et il m'a vu et a de toute évidence quelque chose à me dire). Je réponds. Il me dit ce qu'il a à me dire. J'essaye de faire la conversation. Et puis au bout de quelques minutes, je lui demande si je peux lui dire quelque chose. Je lui dis ce qui se passe. Il me demande ce qui aide à faire passer. Je lui réponds : le temps. Il demande s'il peut m'aider, à me distraire. Je dis, pourquoi pas. On essaye de parler de musique, de diverses choses. C'est gentil de sa part, depuis son bureau à Chicago, comme ça, d'essayer de me « tenir compagnie » en attendant que ça passe. Mais ça ne passe pas vraiment. Ça n'empire pas, ça ne devient pas catastrophique, mais la sensation d'effondrement intérieur est toujours là, j'ai toujours l'impression que ça pourrait empirer à n'importe quel moment. On continue à « discuter ». Au bout de trois quarts-d'heure, j'appelle C., qui doit être en pause. Je lui explique. Elle me demande si je peux tenir le coup. Je dis que oui, que S. est en train de me tenir compagnie, j'essaye de rire un peu du cocasse de la situation. Elle me promet de m'appeler pendant son cours, lors d'un moment creux. Et ça continue. Jusqu'à 16 h. La sensation de panique s'évanouit tout doucement, très progressivement, de sorte que je ne peux pas dire à S. : « Ça va, c'est passé. » Mais je peux quand même lui dire que ça s'améliore un peu — et on continue à bavarder. Vers 16 h 15, je lui dis que je vais me déconnecter, même si C. n'est pas encore rentrée, je sais que ça ne va pas tarder et c'est l'heure de mon goûter, il est temps d'essayer de voir si ça aller. Et ça va. Pas le Pérou, mais ça va. Ça n'a pas été une trop grosse crise, finalement. Je retrouve d'ailleurs assez vite l'« équilibre » dans la soirée, qui ne se déroule pas de façon vraiment différente des autres (ni pire ni meilleure).

Mais quand même. Merde. Avec toutes ces pilules. Fait chier. Qu'est-ce que je suis censé faire de plus ? Ou de moins ?

Mes soupçons à moi portent sur mon système digestif à la noix, une fois de plus. Parce que, après cette grosse merde anormale du mardi soir, je n'avais plus chié. Comme dit, mercredi, ça s'était passé plutôt bien. D'après moi, c'était en partie parce que mon intestin s'était comme « arrêté » de fonctionner, ou du moins tournait au ralenti, sans provoquer les dégâts habituels. Et puis brusquement, après le repas de jeudi midi, il s'est remis à fonctionner. Et ça a été trop brusque, trop brutal pour mon système. Ça l'a pris par surprise et il a réagi de façon incontrôlée — d'une façon que moi, en tout cas, je n'arrivais pas à contrôler.

Bien sûr, je n'ai aucune preuve « scientifique » de tout cela. Et on est loin du jour où je serai branché sur la bonne machine au bon moment et où un docteur curieux réussira à établir que c'est effectivement ce qui se passe et aura peut-être des solutions à suggérer.

Toujours est-il que, comme de juste, je me suis remis à chier — plus ou moins normalement, cette fois — plus tard dans la soirée.

Ces soupçons se fondent en partie sur mon expérience antérieure. Parce que j'ai l'impression d'avoir déjà vécu des cycles similaires en 1995 — et même par la suite. Seulement, lorsque ça allait relativement bien, comme lors des deux dernières années, au lieu de déclencher une crise de panique, ce type de « déblocage » brutal (avec passage aux toilettes dans les heures qui suivaient) ne provoquait que quelques bouffées de chaleur, quelques sensations désagréables, quelques crampes intestinales — des choses que j'arrivais relativement facilement à maîtriser, quoi.

Qu'est-ce que je peux faire, dans les circonstances, pour essayer de faire en sorte que ça ne produise que des effets « contrôlables » ? Je ne sais pas. Je ne veux pas me mettre à prendre plus de calmants, parce que, par ailleurs (comme aujourd'hui), il semble que je puisse m'en passer. D'un autre côté, je ne veux pas avoir à en subir d'autres, de crises de panique comme celle-ci, je veux avoir un degré raisonnable de certitude que ça ne va pas se reproduire. Mais malheureusement je ne vois pas comment réaliser un tel objectif.

Par ailleurs, Dr M., l'ami neurologue de la soeur de C., a enfin téléphoné mercredi soir pour dire qu'il avait des « informations ». En gros, il prétend avoir obtenu que je voie le gastro-entérologue bien avant le 8 mai 2001, il lui a parlé directement, je suppose qu'il lui a fait comprendre que ce n'était pas exactement un cas qui pouvait attendre huit mois, la secrétaire l'a, semble-t-il, assuré que j'aurais « le prochain rendez-vous disponible » et que je devrais avoir bientôt de ses nouvelles. Il dit aussi qu'il va organiser un examen par IRM de ma colonne vertébrale dès que possible et qu'il me verra dès le lendemain dans son cabinet pour discuter des résultats. Il va me rappeler pour me dire quand ça va se passer.

On est sceptiques. On ne peut pas s'empêcher d'être sceptiques. Il a mis près de deux mois à nous rappeler alors qu'il avait promis de faire démarrer les choses tout de suite. Un examen par IRM, c'est très bien, c'est même un privilège, quand on sait qu'il y a des patients souffrant du cancer qui doivent eux aussi attendre des mois — mais je n'ai toujours pas de date, et il n'y a rien qui dit que ça ne va pas de nouveau lui prendre deux mois pour me rappeler. Même chose pour le gastro-entérologue. La secrétaire lui aurait dit que ce serait sans aucune doute « plusieurs mois avant » le 8 mai 2001, mais ça ne veut pas dire que ça ne sera pas dans deux ou trois mois quand même.

On ne peut pas vraiment nous reprocher d'être sceptique. Avec la meilleure volonté du monde, les médecins canadiens semblent incapables de surmonter les terribles lacunes du système. Si des patients souffrant d'un cancer sont obligés d'attendre plusieurs mois pour un examen par IRM, il est clair qu'il y a quelque chose qui ne va pas, et que ce n'est sans doute pas de la faute des médecins eux-mêmes. Autant qu'on sache, pour la plupart d'entre eux, ils font ce qu'ils peuvent avec les moyens du bord. Mais ce sont ces moyens qui sont terriblement insuffisants.

À côté de ça, une clinique privée aux États-Unis, ça semble être le jour et la nuit. La soeur de C. a dit qu'elle allait donner un premier coup de fil et nous rappeler à ce sujet demain. Il va falloir qu'on parle de tout ça et qu'on prenne une décision. Cette crise de panique d'hier complique évidemment encore les choses — parce que, là encore, on ne sait pas quoi penser. Est-ce que c'était juste un baroud d'honneur de ce noyau d'anxiété que les médicaments combattent ou est-ce que c'était un signe que ces médicaments sont en train de perdre la bataille ? On ne sait pas. Et, dans toute cette incertitude, il faut prendre des décisions. On ne veut pas être une charge, on ne veut pas abuser, et en même temps on a peur du lendemain, on est inquiets, tendus, stressés, fatigués, usés.

Pendant ce temps, comme un idiot, mon corps — la partie qui fonctionne — continue à faire des progrès en natation. Je fais maintenant deux fois 20 longueurs avec une simple pause au milieu et j'avance plus vite en crawl que je ne le faisais il y a quelques semaines. Vingt nagées par longueur au lieu de vingt-cinq. Je sens que mes bras sont plus forts, je ne me sens pas particulièrement fatigué au bout de quarante longueurs, j'arrête juste parce que je sais qu'il vaut mieux ne pas forcer, surtout pas. Mais il y a quand même un décalage incompréhensible entre ce que ce corps est capable de faire et ce qu'il se fait à lui-même en même temps, parallèlement. C'est quelque chose que je ne comprends pas. C'est comme le fait que, au plus fort des crises, j'ai toujours continué à travailler. Je n'ai jamais pris de « congés de maladie » que pour aller voir des médecins. En ce sens, ce n'est pas une « maladie » normale dont je souffre, de toute évidence, et c'est ce qui rend encore plus compliquée la tâche de ceux qui veulent m'aider. Parce que, souvent, le seul indice qu'ils ont du fait que je ne suis pas bien, c'est ce que je leur dis. Alors, forcément, il y a ceux qui me croient et ceux qui ne me croient pas.

Comme je taquinais C. ce matin à propos de je ne sais plus quoi en route vers la piscine (elle avait du travail à faire à l'université), elle m'a taquiné en retour en disant que je devais me sentir mieux, puisque j'avais de nouveau l'envie de la taquiner. J'ai immédiatement répondu qu'il ne fallait pas trop se fier à cela et elle a tout de suite repris un ton sincère pour me dire qu'elle savait très bien, qu'elle était tout à fait consciente que ça n'allait pas si bien que ça, qu'elle était celle qui savait sans doute le mieux comment je me sentais à tout moment — ce qui est vrai, bien entendu. Comme il est vrai que ça va « mieux » qu'il y a quelques semaines, de toute évidence, et que c'est pour ça qu'il me prend parfois l'envie de la taquiner. Mais ça ne veut pas dire que ça va « bien ». Ça ne veut pas dire que la crise de panique d'hier n'en était pas une vraie. Ça ne veut pas dire que toutes les incertitudes demeurent. Et elle le sait très bien. Et j'ai de la chance, beaucoup de chance.

Z - Days 68 & 69 Z - Days 73 to 76

© 2000 Pierre Igot

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