SANS ÊTRE VU
Festin


L’oreiller qui épouse la forme du dos fatigué.

Le talon qui corrige la disparité entre mes jambes.

Les rots qui viennent régulièrement crever la bulle acide qui se forme et se reforme dans l’estomac.

La caresse des doigts dans les cheveux qui dissipe la tension permanente du cuir chevelu contre la démangeaison.

La merde dure qui soulage enfin trois jours de constipation et provoque une cascade de crampes aiguës et rassurantes.

Le dry clair comme de l’eau qui tombe au bon moment, ne réveille rien d’inquiétant et crée sa petite illusion temporaire de façon incontestablement fiable

La discussion dans laquelle on se laisse si facilement emporter et qui ne mène à rien (chez soi) d’autre qu’un réagencement temporaire des neurones (chez l’autre peut-être plus durable).

Les voiles en coton véritable que la caresse ne rend pas électriques et qui ne rendent pas la caresse hystérique.

Le chat qui trouve toujours une façon de remplir le creux au bas du ventre, entre les jambes.

La musique funk qui dégage une énergie inépuisable, toujours aussi forte après cent écoutes, toujours aussi prenante, toujours aussi libératrice.

Le poids de la couette qui enveloppe sans étouffer et protège sans enfermer.

Les fesses larges et tendres qui s’écartent, se malaxent et s’offrent sans compter.

L’éjaculation qui ne fait pas mal.

Le texte qui n’est pas tenté par l’obscurité.

La lumière plutôt naturelle d’une ampoule électrique qui a fait son temps.

L’odeur de l’herbe fraîchement coupée et franchement goûtée par le bétail.

L’oiseau toujours innocent qui gobe les pucerons et picore dans la terre sèche et morte.

Le cœur qui battait, jusqu’à ce qu’on y pense.

Le désordre qui ne part jamais que dans une direction à la fois.

Le sourire d’une inconnue qu’on ne doit jamais revoir et qui le sait.

Le fond du chocolat noir et l’arrière du café brûlant.

La poitrine qui sent la peau de poitrine et qui se mange à tous les vents.

Le papier d’assez près pour qu’on en voie le grain et d’assez loin pour qu’on y écrive.

Les livres sur les étagères de bois franc.

Le verre sans défaut et le doigt de whisky qui s’y repose.

Le nombre rassurant de pages à lire.

La douceur d’une joue de femme en ce qui la distingue de celle d’une enfant (désir).

Le nombre de fois que j’aurais pu dire « oui » sans rien dire.

Le beurre, la farine, les œufs, le sucre, la cuisson.

La banane, juste avant d’être mûre.

Le mur juste avant la porte.

Le vent qui apporte l’éclaircie.

Les défauts d’une voix jamais fausse.

La solitude de Duke Ellington.

La chaleur de l’accueil du vagin mouillé.

Le moment où il devient soudain nécessaire de continuer à lire À la recherche du temps perdu.

Les courbes, le creux des reins.

La surprise d’un de ses propres textes.

Le soulagement d’un travail terminé — et bien fait.

Le document virtuel qui est tout d’un coup devenu un objet.

L’absence (enfin) de fatigue immédiate.

Le nombre rassurant de pages à lire.

La certitude de la lucidité (tant qu’elle dure).

La douleur « normale ».

Les commentaires sur ce qu’on a accompli qu’on n’aurait pas dû entendre.

La qualité d’enregistrement.

Le premier numéro du NPGMC.

Northside.

Les dix-sept cuivres à gauche.

La taille des arbustes à l’automne ou au début du printemps.

Un homme politique qui n’a pas tort.

De vieux planchers qui grincent.

L’arrivée à l’aéroport.

Les petites majuscules.

Les grandes minuscules.

Les phrases végétariennes.

Le repas.


SANS ÊTRE VU :
|| Accueil || Liste alphabétique || Liste chronologique ||


LATEXT:
|| Home / Accueil || Help / Aide || Contact || Site Map / Plan du site || Updates / Mises à jour ||


Webmaster / Responsable du site :
http://www.latext.com
© 2001 LATEXT - All Rights Reserved / Tous droits réservés