SANS ÊTRE VU
Entretien


Quand la tension, un jour, est retombée, il y a eu comme une vague, d’abord forte, puis diffuse. Depuis ce jour, elle n’en finit plus de venir s’écraser sur la côte. Il ne s’agit pas de fractionnement de la dernière (qui n’est jamais la dernière) distance infranchissable, mais d’une erreur du système qui fait que les événements de la dernière fraction de seconde (qui n’est jamais la dernière) avant l’erreur se répètent à l’infini. Bien sûr, comme le système en question n’est qu’imparfait, la répétition n’est jamais exactement la même, ce qui a, a priori, l’avantage de ne pas rendre fou (pas aussi vite, en tout cas), mais aussi l’inconvénient qu’on est toujours susceptible d’être surpris par une variante qu’on n’avait pas su imaginer. (Entre le présent et l’avant, il y a l’instant, toujours trop tard.) Les signes sont apparemment identiques, mais leur manifestation (qui fait, somme toute, partie de leur définition) ne l’est pas — et c’est elle qui fauche à chaque fois l’herbe sous le pied. Si ce petit coin de peau sur la poitrine démange et devient rouge à l’intérieur (on l’imagine), c’est aussi parce que le système (ce qu’il en reste) n’a pas su prévoir l’endroit précis où l’attaque du dérèglement viendrait refaire surface.

Les avis sur les causes sont partagés, mais pas par tous. Certains voient déjà de la mort, d’autres ne voient que de la vie, et ni les uns ni les autres ne se comprennent. Le langage qui les unit divise l’être en corps et en fonctions. L’interprétation qui les distingue confond tout. Les larmes n’ont pas précédé la douleur. Le genou ne s’est pas plié de force au-delà de son point de rupture. Les traces secrètes sur les vêtements n’ont trahi personne. On a normal day I’m clean.

On se prépare à une guerre pour éviter de mener l’autre — qu’on a déjà perdue. Tout est affaire de volonté de ne rien dire. Ne pas dire : vous avez tort parce que nous avons tort. Nous sommes tous dans le même plat. Les choses avancent péniblement à la surface, pendant que l’inné et l’acquis remuent tous les fonds. Je survis parce que je suis roi. Je vis parce que j’ai froid. Aimez-moi quand je crois. Détestez-moi quand je suis droit.

Chaque jour, sous la douche, je pèle une couche. J’en ressors fatigué et satiné. Le monde se remet à me baver dessus et je me contente de me laver les mains cent fois par heure. Le soir, quand la bave a séché et que je sais que je ne trouverai rien dans la nuit qui vient, je gratte. J’arrache le petit bout de peau qui dépasse et qui m’empêche d’être lisse. Malheureusement, il emporte avec lui un morceau de chair vive. Le sang coule de soulagement. Je désinfecte cinq fois par jours et ce qui suinte pendant la nuit ne compte pas.

La belle machine repart sans me le dire. Elle redevient ce qu’elle était avant les causes. Du moins, elle s’en souvient. J’essaye de compter les longueurs, mais j’oublie toujours à un moment ou à un autre. Le temps passe. Le temps vérifie. Bon à l’ouvrage. Bon à être sage. Ce qu’il faudrait interdire est un fait. Ce qui est interdit est un fantasme. Ce qui interdit me rend le courage d’être beau — jusqu’au prochain trou.

Vous pouvez soutenir un écart amoindri ou entretenir un fossé sans prix. Mais gare aux accumulations d’espèces. Un jour, elles seront toutes fières d’avoir évolué, et vous ne pourrez plus rien.


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