SANS ÊTRE VU
Aride essence


Il est bien plus facile de consommer que d’éprouver. Pour consommer, il suffit de se tendre, d’activer des atavismes, de remettre en branle la machine bien rôdée par cent millions d’années d’évolution. Pour pouvoir éprouver, par contre, il faut savoir se détendre, renoncer aux gestes, laisser les battements de la basse profonde faire trembler les parties moins osseuses de son abdomen, ne pas laisser ces sons « alerter » faussement sa cervelle, toujours à l’affût de la moindre raison de fuir ou de faire le mort, faire appel aux quelques paquets de neurones qui ont su, avec le temps, se détacher de leur fonction et apprendre à vibrer sur des musiques graves et joyeuses sans utilité.

Il paraît que tout cela pourrait malgré tout servir à quelque chose, avoir des vertus « thérapeutiques ». Cette fausse justification n’est encore, pour moi, qu’une autre manifestation de la peur du vide et de la fuite tendue sans fin qu’elle suscite.

Ce qui me fait peur, à moi, c’est de ne plus jamais avoir la possibilité de m’exposer, vulnérable, à l’inutilité musicale des choses. C’est de ne plus jamais pouvoir faire que des gestes ou des visages pertinents.

Il s’agit d’une peur nourrissante, qui ralentit. Elle va peut-être m’amaigrir, m’enlever du gras du monde, mais je suis fatigué de ne plus pouvoir atteindre la joie qu’à coups d’intoxications bancales et d’orgasmes fats.

Je veux la pure extase autonome de la fin du désir et du flux du jouir. Je ne veux pas avoir à l’expliquer. Je veux me taire et savourer. Je veux passer à côté des raisons qui déclenchent la parole en moi, les ignorer superbement, les mépriser pour ce qu’elles sont, sans qu’elles souffrent de ma haine, non, attendez, elles ne souffriront que si je les vois souffrir, que si elles me voient les regarder souffrir, elles n’ont pas, en elles-mêmes, de souffrance à éprouver, elles consomment la souffrance que je veux bien créer en elles par mon regard, les raisons de parler sont parfaitement, superbement heureuses sans mes intrusions — mais mon mépris pour elles lui-même, je ne peux l’avoir que si elles me voient les mépriser, autrement, mon mépris s’effondre, et avec lui toutes les excuses, toutes les façons que je fais encore désespérément (en apparence) lorsqu’il s’agit une bonne fois pour toutes de se taire.

Ne plus parler
Que dire
Qu’on ne dit plus sans pleurer
Qu’on ne joue plus sans joie de jouir
Qu’on a fini
Encore
Une dernière fois
De ne rien dire en faisant froid
Dans le dos des choses impassibles
Et des événements cois

Réseau
Système
Structure
Beauté chronique de l’écoulement du monde
Esthétiquement intègre et soi
Fondé sur un rythme roi
Sur les attaques sèches et les courbes cuivrées du sexe
Érotique à force de doigts
Sur le bout des touches à l’endroit
Où l’élan des sons détend sa morsure
Et se fond dans toutes les voix
Rien n’est mal
Rien ne peut compiler la souffrance
Il fait beau sur terre et l’essence
Du lait du sein s’est défaite de l’eau

Suce et danse
C’est la fin de la faim qui parle
Et le début à jeun de la salive et de la cyprine
Sur les draps


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