SANS ÊTRE VU
Abstrait direct


J’ai longtemps reçu du jour l’impression d’être sale. Je me suis réfugié dans la nuit qui pense, pensant moi-même qu’il lui était égal que je parle en bien ou en mal du caractère circulaire de son embellissement des choses. Je trouve maintenant qu’elle a toujours clairement indiqué qu’elle ne voulait ni de moi ni de mes « réflexions » sur le monde qui la protège en prétendant s’y abriter.

Je décide donc de revenir à l’abstrait direct. Cela me rend plus vulnérable, mais aussi plus prompt à guérir. Les blessures n’ont plus vraiment le temps de se former. Je bondis de vide en vide avec l’aisance des paniques résidentielles de mes fonds nerveux. Elles connaissent par cœur tous les parcours que je découvre un à un avec la surprise d’un oiseau en cage lâché dans la nature (et pas n’importe laquelle).

Un jour, je découvre une enclave à laquelle je n’avais pas songé rêver. Elle forme un joli concentré de crise entre quatre murs assez habiles pour échapper constamment à mon regard. On m’y rend visite. Je fais les comptes. Puisque tous mes visiteurs restent dans le couloir, derrière la vitre, et me regardent fixement sans faire signe, qu’est-ce qui me dit qu’ils voient autre chose que leur propre reflet ? Qu’est-ce qui me dit que je les connais et que je devrais quand même faire un petit effort pour entamer la « conversation » ?

Je finis par le faire, cet effort, mais, évidemment, d’une façon tellement subtile, tellement éloignée de ce qu’ils peuvent raisonnablement attendre de moi (s’ils attendent quelque chose) que je n’en tire ni la satisfaction d’avoir réussi mes gestes ni l’espoir d’avoir vraiment été vu. Alors je me replie sur mon petit coin de pourriture et j’attends l’ivresse. Je distille des évidences en feignant d’entraîner la vérité dans le mouvement. J’explose et je recompose mon aisance jusqu’à ce qu’elle paraisse si invraisemblable qu’elle n’inspire plus que des cris de haine sporadiques et futiles.

Je me déshabille avant d’entrer dans l’espace. Le corps qui m’y attend n’est pas nerveux. Il se défait et se reconstitue sous mes yeux en guise de réponse à l’impossibilité de me plaire. Cela me donne assez de courage pour le désirer. Il ne bouge pas, je n’avance pas vers lui, mais quelque chose nous rapproche. Ce n’est ni l’invitation d’une courbe ni l’étrangeté d’un orifice. C’est la certitude d’avoir un morceau pour moi, un fragment de ce que j’absorbe encore sans pouvoir ou penser le consommer. Je me lance sur la piste du mal qu’il a eu à s’arracher du reste. Je trouve cette difficulté et j’en use pour confondre dans l’exil ambiant la terre et tous ses gisements. Je plonge mes mains dans le sol fraîchement retourné et je devance de ma salive l’alcool de la décomposition. Je crois deviner, sous le fond de murmure étroit, des pics d’amertume sèche et me précipite dans les brèches qu’ils entrouvrent en moi tandis que je me penche sur eux pour mieux les voir. Il faut toujours, à tout moment, lutter contre l’envie de laisser la tension croître et s’accumuler. Sans attendre, je plonge la langue et les doigts dans l’ordre qui va. (Il dépend du jour, de l’heure, de la température intérieure et des draps.) L’ordre qui va répond en résonance, juste assez pour changer l’état de mes systèmes. Je maintiens l’équilibre tout en travaillant les muqueuses et les voies. Il s’agit plus d’une improvisation que d’une mélodie, mais je ne vais pas commencer à nier le rythme. C’est la chose la plus simple et la plus puissante, du gorille à l’oiseau qui bave, intérieur, calculé, combiné, subi, tout s’impose quand il prend ses marques et devient de nouveau l’exploit en instance de célébration-naissance.

Le plus beau, dans la jouissance, c’est évidemment sa stérilité. Comme la mienne courra toujours le risque d’être accidentellement fertile, c’est dans la sienne que je trouve la meilleure illustration de ce que j’imagine, de la pureté abstraite sur laquelle je prends directement du retard.

Ce qu’il y a de distrayant dans la naissance, c’est le nouveau-né. Si seulement on pouvait accoucher du néant… Imaginez le plaisir qu’il pourrait y avoir à déglutir du bas-ventre, dans la plus intense des douleurs, pour ne déboucher que sur l’apaisement. La déchirure de l’enfant réel fausse totalement le dénouement. Au lieu d’un accouchement dans la douleur, c’est la douleur de l’accouché qui vient d’un seul coup combler tous les gouffres. Plus question de s’interroger sur le bien-fondé des spasmes ou la béance d’un flanc trop lâche. Bienvenue au monde.


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