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Est-ce que cela vaut vraiment la peine de continuer ? Ces pages n’ont jamais eu d’autre véritable but que de m’aider à y voir plus clair, à en sortir. Or, après tant de jours, tant de mots, qu’est-ce qu’elles m’ont apporté ? Le peu de progrès accompli est de toute évidence lié avant tout aux médicaments. Tout ce que je peux dire, faire ou penser n’a semble-t-il que très peu d’impact. Cela ne m’aide certainement pas, en tout cas, à prendre le « recul » nécessaire par rapport à ma condition et à en faire ainsi quelque chose de plus supportable, de moins empoisonnant.

Pourquoi pas ? Je ne suis pas sûr. Peut-être, sans doute en partie à cause du côté « unilatéral » de la chose. Il me semble que j’ai fait plus de « progrès » dans mes quelques discussions récentes avec Paul qu’en écrivant ces dizaines de pages. C’est sans aucun doute lié au fait qu’il « est passé par là », lui aussi, et qu’il s’en est sorti — même si les analogies ne sont jamais que de surface. Mon cahier n’est pas « passé par là ». Mon ordinateur n’est pas « passé par là ». Mon serveur Web n’est pas « passé par là ». Après…

Bref, je ne sais trop que penser. Je sais juste que je n’ai pas trop eu l’impulsion, ces derniers temps, de m’asseoir et de prendre le temps d’écrire la suite du « feuilleton ». À dire vrai, je n’ai pas trop eu l’impulsion d’écrire quoi que ce soit de « personnel ». Est-ce un effet indirect de l’E ? C’est possible. On verra bien. Je ne sais pas si je veux contrarier le médicament dans les efforts qu’il fait pour essayer de me sortir du trou. Il faudra bien que je lui dise un jour d’arrêter de me constiper, ça oui, c’est inévitable. Mais l’écriture est loin de s’imposer comme une activité de la même importance vitale dans de telles circonstances. Écrire pour un monde qui ne veut qu’être distrait, ce n’est probablement pas la voie de la guérison. Ce n’est en tout cas pas inscrit dans les gènes. Écrire pour régler des comptes, par ailleurs, ça devra attendre des jours meilleurs. La satire et le ralentissement gastrique se marient mal.

Bien sûr, si je retrouve un jour une forme digne de ce nom, je serai pris, à nouveau, du désir de raconter mon histoire dans l’espoir que cela puisse aider quelqu’un d’autre à se sortir de son propre mauvais pas. Et je risque de succomber à ce désir. Rien de fondamentalement mal à cela. Mais je ne crois pas que cela puisse vraiment se faire simultanément. Il y a quelque chose, dans ce genre de velléité altruiste, qui exige presque le recul que seul le temps peut donner.

J’essaye de lire un autre fameux livre de « self-help » sur la dépression et l’anxiété qui s’est vendu à des millions d’exemplaires, mais c’est vraiment trop gnan-gnan. On peut se forcer un peu, mais il y a des limites. Je ne me suis toujours pas libéré de cette obsession du « temps qui passe ». Alors je considère qu’il y a des choses plus importantes à lire. Comme Les jours et les nuits, de Jarry. Non mais. Sauf qu’à l’heure où je vous parle, il est mort. Et Artaud aussi. Qui leur a dit qu’ils avaient le droit de mourir, à ceux-là ? Qui leur a dit qu’ils n’avaient pas le droit de ressusciter ? Allez, les gars, on n’a pas que ça à faire.

Puisqu’on parle de choses à ne pas faire, il ne faudrait pas se mettre à croire que tout est rose en Californie. Il n’en provient, après tout, que quatre-vingt-dix pour cent de la production annuelle en films pornographiques. Et bientôt, c’est la quéquette de mon voisin que vous verrez en gros plan sur ce site — dont le nom même a déjà des relents douteux, d’ailleurs, n’est-ce pas.

Non, décidément, il faut du courage pour continuer à prétendre que toutes ces journées se suivent et ne se ressemblent pas, et je crains d’être actuellement en manque. Ajoutez à cela mes déficiences en vitamine B12 et en testostérone, ma poitrine de 90 ans et mon ventre qui commence à pencher en avant tellement il est plein de merde — et vous verrez assez clairement qu’il y a un certain nombre de déséquilibres à corriger au plus vite avant de pouvoir prétendre à nouveau parler sereinement du monde.

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© 2001 Pierre Igot

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