Z - DAYS 117 TO 123


Une semaine de léger progrès, de lente et pénible amélioration de la capacité de vivre. Jusqu'à vendredi, il y a encore eu, chaque jour, un moment de « crise », c'est-à-dire un moment difficile comme les nombreux moments que j'ai vécus au cours des onze derniers mois. Mais ces moments m'ont paru être de plus en plus « circonscrits », isolés du reste de la journée, comme si mon corps commençait à refuser de les laisser avoir un impact durable sur les organes, les articulations, les muscles et les parties du système nerveux (y compris la cervelle) qui n'ont a priori rien à voir avec eux.

Il faut croire que c'est l'effet combiné du E et de la force de raisonnement que mon esprit conserve. Le E n'est pas censé avoir d'effet avant deux ou trois semaines, mais j'ai lu des témoignages semblant indiquer qu'il pouvait y avoir des exceptions. Après tout, si l'effet sédatif (considéré comme un effet secondaire) est immédiat, les aspects positifs de la sédation devraient entrer en jeu immédiatement aussi. Ce que j'ai ressenti intuitivement dans mon corps cette semaine, c'est un véritable besoin de détente. Je ne suis pas « stressé », nerveusement « tendu » sous l'influence de facteurs extérieurs, mais il est certain que mes muscles et mon système nerveux ont du mal à se départir d'une espèce d'« état d'alerte » dont ils sont devenus si coutumiers.

D'autre part, il est possible que les conclusions tirées du voyage à B*** aient commencé à « rentrer » dans la partie la plus importante de mon esprit, celle qui met en relation les faits objectifs dont je dispose et les sentiments d'angoisse et de panique dont je suis victime. Il est possible que ce soit quelque chose qui prend du temps.

Enfin, il ne faut pas négliger le fait que je prends très au sérieux cette idée d'« hyperventilation » et que je me livre sans cesse à des exercices de ralentissement et de régularisation de la respiration (consistant, en gros, à ne pas respirer plus de cinq fois par minute, à éviter toute respiration profonde et à respirer avec « le ventre » — c'est-à-dire le diaphragme — plutôt qu'avec le thorax), dès que l'occasion se présente. Nous vivons dans une région où les trajets en voiture sont fréquents (impossible de faire quoi que ce soit à pied, les maisons et les édifices sont trop dispersés) et, à part chanter sur la musique qu'on est en train d'écouter, il n'y a généralement rien à faire pendant qu'on conduit seul pendant dix minutes, un quart-d'heure pour se rendre au magasin, à l'université, à la pharmacie, chez un ami, etc. et le corps n'effectue aucun effort physique qui requière une respiration plus accentuée. Alors, ma foi, au lieu de chanter (mal et faux), je m'entraîne à respirer mieux. Et ça semble avoir un effet positif.

Il est certain que l'anxiété est intimement liée au rythme respiratoire. C'est quelque chose dont les conseils de quelques personnes m'ont rendu beaucoup plus conscient et, avec l'aide de l'E pour les moments « critiques », il est fort possible que le travail sur la respiration porte vraiment des fruits.

La seule chose qui puisse être regrettable, dans ce changement de comportement, c'est que j'ai plus guère l'occasion de « rêvasser » en toute liberté. Je ne sais pas trop dans quelle mesure les rêveries sont fertiles et utiles dans le cadre de mon travail d'écriture, mais il est certain que je me souviens d'avoir eu plusieurs idées importantes de façon inattendue, pendant que je conduisais et que je laissais mes pensées vagabonder. Pour le moment, mes « réflexions » sont plutôt de l'ordre du décompte systématique (« on inspire...1 2 3 4 5 on expire... 1 2 3 4 5 6 7 on inspire... etc. »). Pas exactement d'envergure métaphysique. Mais on peut espérer que, avec le temps, cette façon de respirer me viendra plus naturellement et que je pourrai de nouveau penser à autre chose sans avoir à me concentrer sur l'écoulement des secondes.

J'ai aussi vu le médecin spécialiste en « physical medecine » (je ne sais toujours pas à quoi correspond exactement cette discipline en français) comme prévu (de longue date) vendredi à H***. Un médecin d'origine indienne, encore une fois. Mais, à la différence de Dr A., son anglais était très bon — malgré l'accent — et il avait l'air de savoir un peu plus de quoi il parlait. Et puis, tous ses diplômes affichés au mur derrière son bureau étaient canadiens. Pas de diplôme indien d'origine et de validité douteuses.

Il ne m'a pas vraiment examiné de façon approfondie, mais je suppose qu'il s'est appuyé sur les diagnostics précédents (y compris ceux des médecins de B***, dont je lui ai fait part) pour se concentrer tout de suite sur la stratégie à adopter. Espérons qu'il a bien fait.

Ladite stratégie va consister à se livrer à des exercices pour le cou et pour le dos de façon systématique deux à trois fois par jour jusqu'à la fin de mon existence. Je me tiens très mal, dit-il, et il est fort possible que ma scoliose explique les douleurs bizarres que j'ai sur le côté gauche. Selon lui (démonstration avec une colonne vertébrale en plastique à l'appui), la scoliose « coincerait » le nerf qui se trouve entre les vertèbres et celui-ci réagirait d'abord de façon violente (d'où les douleurs vives sous le bras), puis resterait irrité pendant un certain temps (d'où les douleurs plus diffuses dans la région). Ma foi, ça se tient.

Quand j'y pense, ce serait quand même un peu fort, si toutes ces histoires, tout ce qui s'est passé depuis cette fameuse nuit de janvier où je me suis réveillé avec cette douleur intense sur le côté gauche dans la poitrine, tout ce qui s'en est suivi, les diagnostics erronés, les pilules nocives, la dépression, l'anxiété, la panique, etc. — si tout cela se ramenait simplement à une histoire de scoliose et de nerf coincé. Évidemment, il y a quand même les symptômes d'arthrite, indéniables (surtout en 1995), mais il est fort possible que même cette arthrite (qui fait d'ailleurs elle-même partie d'un domaine flou et controversé de la rhumatologie) ne soit qu'un problème somme toute « secondaire », que mes douleurs soient nerveuses, musculaires avant tout.

Je souffre bel et bien d'un de ces « syndromes » qui affectent, semble-t-il, jusqu'à vingt pour cent de la population de nos sociétés occidentales et pour lesquels on n'a ni explications ni remèdes, dont les symptômes se chevauchent et se confondent — mais il est fort possible que ce qui s'est passé cette nuit de 1995 n'a fait que « réveiller » une série de symptômes (y compris les symptômes de nature apparemment arthritique) qui étaient déjà présents à l'état latent et dont il est fort possible qu'ils puissent revenir à cet état latent avec des efforts de ma part et l'aide de quelques médicaments pas trop méchants.

Je sais que tout cela semble bien optimiste de ma part après des pages et des pages de ruminations dépressives dans lesquelles il ne semblait y avoir aucune issue. Mais il est indéniable que je me sens, au moment où j'écris ces lignes, un peu mieux, que je n'ai pas aussi mal et que je ne suis pas dans un état mental de détresse comme je pouvais l'être il y a très peu de temps encore. Il est également indéniable que j'ai maintenant le courage d'essayer certaines choses, de faire ces exercices même s'ils font un peu mal, de me lancer dans des travaux un peu ardus (encore un article pour P. hier) sans avoir trop peur des conséquences possibles.

Ne nous leurrons pas : il ne s'agit encore que d'une amélioration très modeste. J'ai encore mal. J'ai encore peur. J'ai encore des moments « délicats ». Mais l'intensité du mal, de la peur semble avoir un peu diminué — et, si c'est le cas, si c'est ce que je perçois et si cela se confirme, cela change tout, évidemment.

On est donc, je crois bien, dans une période décisive. Je ne veux pas envisager d'autre issue que le retour tant attendu à une vie plus « normale ». Je ne veux pas envisager d'autre possibilité que l'arrêt définitif, à moyen terme, des calmants. Je ne veux pas me fixer de date butoir, mais, si tout cela pouvait se confirmer d'ici les fêtes de fin d'années, il ne fait aucun doute qu'il y aurait, dans mon esprit (et sans doute dans mon corps aussi), quelque chose qui pousserait un gros « ouf ! » de soulagement.

Dans le cas contraire, on serait dans une merde autrement plus problématique encore.

Z - Days 109 to 116 Z - Days 124 to 127

© 2000 Pierre Igot

Retour au tableau chronologique

Retour à la page titre