Z - DAYS 109 TO 116


Semaine consacrée à l'expédition au sud, par-delà la frontière, dans l'inconnu du système médical américain. On a passé quatre journées complètes sur place et deux à voyager. On n'a rien vu de B***, pas eu le temps ni l'énergie, on est juste allés deux fois au cinoche juste à côté de l'hôtel, le reste a consisté à prendre cinquante fois l'ascenseur par aller du cabinet de l'un au laboratoire de l'autre, etc.

Impressionnante machine, tout particulièrement efficace, surtout comparée à ce avec quoi il faut qu'on tente de survivre ici. Du genre : le gastro-entérologue me voit à 16 h, dit qu'il faudrait une scintigraphie de l'abdomen pour être sûr qu'il n'y a rien de travers dans mon pancréas, on en parle à la secrétaire, on lui dit qu'on doit repartir dans deux jours, elle dit qu'elle va faire ce qu'elle peut, cinq minutes après elle nous dit qu'on peut y aller à 17 h 30 le jour même. Difficile à battre. Et comme le rhumatologue veut aussi une scintigraphie du thorax à cause d'un bruit bizarre dans ma poitrine, on va s'arranger pour faire les deux en même temps.

Ici, il aurait d'abord fallu six mois pour obtenir un rendez-vous chez un gastro-entérologue, puis trois mois pour passer la scintigraphie, puis trois mois pour revoir le gastro-entérologue et discuter des résultats. Ne parlons même pas d'essayer de coordonner ça avec les désirs d'un rhumatologue.

Légère différence.

On a donc vu : un généraliste, un rhumatologue, des cardiologues, un neurologue, un psychiatre, un gastro-entérologue et une kyrielle d'infirmières et de techniciennes.

Le moins bon (mais tout est relatif) était de toute évidence le généraliste, un prénommé Pierre dont je me suis immédiatement douté qu'il était québécois, ça n'a pas raté, fallait que je fasse tout ce chemin pour tomber sur un autre maudit de Québécois :), bon, il ne devait pas être si mauvais que cela, si la clinique l'avait embauché, mais quand même, sa technique consistait à commander tous les tests possibles et imaginables (il avait même une réputation sur ce plan, comme nous l'avons bien vite appris), il bafouillait constamment, plein d'anglicismes, évidemment, mais bon, ce n'était pas trop grave, mais quand même, à la fin, il nous a fait poireauter une heure pour nous dire en cinq minutes que tous les résultats étaient négatifs et « au revoir, bonne chance ». Non, pas trop impressionnant.

Heureusement qu'il y a eu tous les autres entre temps.

Le psychiatre éblouissant qui parlait comme une mitraillette mais qui donnait vraiment l'impression de savoir de quoi il retournait et qui a réussi à m'en dire plus en une demi-heure que ce zouave de Dr A. en quinze consultations. Et qui a promis de m'envoyer une lettre récapitulant ses recommandations, mais m'a fortement recommandé de trouver quelqu'un localement (ça veut dire à H***, désormais) pour le suivi, au moins pendant quelques mois. Il était clair, pour lui, semble-t-il, qu'il était un peu vain de se lancer dans une thérapie alors que je souffrais tellement. Il faut d'abord neutraliser la souffrance, à l'aide de médicaments, évidemment, et après essayer une thérapie, de préférence de groupe pour ce qui me concerne. Mmmm. Va falloir en parler à J.W.

Le rhumatologue, tout aussi impressionnant, sorti tout droit d'une série télévisée, le jeune pro qui ne doute pas, mais qui s'intéresse, qui écoute, qui écoute si bien, d'ailleurs, qu'il me trouve un murmure au cœur, allons bon, un passage chez le cardiologue s'impose, dirait-on, pour le reste, il me faut une scintigraphie des os, l'IRM ne suffit pas, on va programmer ça avant votre départ, mais ça risque de prendre un ou deux jours. Il demande à me revoir dès le lendemain, alors que ce n'était pas prévu, il appelle la secrétaire du médecin que je suis en train de consulter, elle vient frapper à la porte et dire : « Quand vous aurez fini ici, Dr D. veut vous voir, si possible... », putain, ça fait quand même du bien, un médecin qui s'intéresse à votre cas, pour changer. Il veut aussi me revoir encore le vendredi soir, juste avant notre départ, même après la consultation finale avec le généraliste, pour discuter de la scintigraphie des os, bon, j'ai bien de l'arthrite dite « séronégative » (non rhumatoïde), mais sans doute pas la forme qui fige la colonne vertébrale, parce que ça aurait déjà commencé, et puis de toute façon, je ne semble pas avoir beaucoup d'arthrite « active » en ce moment, la plupart de mes douleurs dans le dos sont musculaires, il y a des médocs, mais ils sont un peu durs pour le système et peut-être que la « gestion de la douleur » à l'aide de psychotropes sera plus utile, à essayer d'abord. Par contre, il aimerait bien écouter mon coeur encore une fois, et si ça ne vous dérange pas, j'aimerais faire venir un collègue spécialiste de tout ce qui est vasculaire pour qu'il écoute, lui aussi, oh non ça ne nous dérange pas du tout, au contraire. Parce que voilà, l'échocardiogramme a montré que je n'avais pas de murmure visible et la scintigraphie du thorax a montré que je n'avais rien de bizarre comme une veine reliée par accident à une artère ou autre truc du genre, alors le bruit dans ma poitrine reste un mystère, l'autre collègue écoute, j'entends bien un petit murmure systolique, rien de sérieux, mais j'entends aussi autre chose, quelque chose de musical, semble-t-il lié à la respiration, c'est curieux, mais c'est un mystère, puisque les tests n'ont rien montré, et ça va le rester. Allez voir un cardiologue dans un an pour vérifier de nouveau, quand même.

Et c'est vrai qu'il ne faut pas le nier, je fais mes quarante longueurs à la piscine et je ne me sens même pas particulièrement fatigué à la fin, même pas à bout de souffle, difficile de penser que je pourrais avoir un murmure significatif, en effet.

Alors j'ai une petite musique dans la poitrine.

La première cardiologue, dont le nom n'apparaissait pas dans la liste à l'entrée de la division, elle doit être nouvelle ici, assez jeune, mais là encore, très pro on dirait, très au fait, c'est elle d'ailleurs qui a commandé l'échocardiogramme et qui me demande de revenir la voir pour en parler. Quand l'échocardiogramme ne donne rien, elle fait venir non pas un, mais deux de ses collègues pour qu'ils écoutent, eux aussi. Là encore, perplexité. Si ça ne voit pas dans les tests, ça ne peut être rien de grave. Mais c'est là. Bon. À surveiller, quoi. Doute fort que ça explique tous vos autres symptômes, par contre. Même si, objectivement, pensé-je, ce n'est pas prouvé, puisqu'on ne sait pas d'où il vient, ce bruit, mais quand même, c'est vrai, c'est probable.

Le gastro-entérologue, qui gueule comme si on se trouvait dans un amphithéâtre avec 400 étudiants en médecine, mais bon, droit au but, là encore, pas de tergiversations, non, ne faites pas cette radio du ventre et cette sigmoïdoscopie, ce n'est pas nécessaire, vous avez fait une radio et un lavement baryté récemment, mmm, ce ne sont pas les meilleures images de lavement baryté que j'ai jamais vues, hein, mais bon, je vois quand même qu'il n'y a rien de sérieux, la scintigraphie du ventre ne montre rien, donc c'est du domaine de la gestion de la douleur, encore une fois, on est en plein dans le « syndrome », cette chose qui correspond à tout et qui ne correspond à rien, d'ailleurs, en rentrant, samedi, après quelques recherches sur le Web, je suis tombé sur un article ô combien intéressant, qui, en gros, explique bien que tous ces syndromes, c'est de la bibine, c'est que chaque spécialisation de la médecine a fini par inventer le sien pour se distinguer des autres, mais au fond, tous ces patients qui n'ont pas de lésions apparentes, mais qui souffrent, ils souffrent de la même manière, ils souffrent souvent des mêmes choses, alors Irritable Bowel Syndrome, Hyperventilation Syndrome, Myofascial Pain Syndrome, Undifferentiated Somatoform Disorder, c'est sans doute la même chose, tout ça, le même syndrome, la même saleté qu'on ne comprend pas encore et qu'on ne commencera à comprendre que quand on arrêtera de diviser le corps en spécialités.

Et c'est sans doute « tout » ce que j'ai, tout ce dont je souffre. Mais ça suffit largement, bien sûr.

Oh, le neurologue a demandé un examen par IRM du cerveau aussi, juste pour vérifier, et tiens, voilà-t-y pas qu'on me trouve de vieilles lésions enterrées profondément dans la cervelle, sans doute quelque chose qui remonte à la naissance ou qui relève d'un traumatisme dans l'enfance, rien à voir avec vos problèmes actuels, je vous rassure tout de suite, cette région du cerveau n'est pas directement liée au système nerveux, et de toute façon, depuis le temps, mon cerveau a probablement appris à contourner l'obstacle, enfin on pourra faire des blagues maintenant sur mon cerveau endommagé, ça servira au moins à ça. Donc pour lui, oui, c'est le syndrome d'hyperventilation, un truc qu'on peut pas prouver, pas vraiment expliqué, mais dans lequel le corps croit qu'il n'y a pas assez d'oxygène et trop de CO2 dans le sang et altère donc la respiration de façon subconsciente, tiens, c'est intéressant, on peut bien faire quelques exercices de respiration à l'occasion, mais surtout, ce que je vous recommande, c'est cette pilule qui... comme par hasard est la même que celle que recommande le psychiatre, qui est la même que celle que recommande le gastro-entérologue... qui est la même que celle que nous avait recommandée Dr M., l'ami neurologue à H***, il y a des mois déjà. Le fameux Elavil.

Bon, ben il va falloir s'y mettre, alors. Peut-on mélanger avec le Z et le R ? Mais oui, pas de problème, une petite dose, 10 mg, pour commencer, mais pourquoi vous ne commenceriez pas tout de suite, tiens, ah, attendez, si c'est cher... mais non, ce n'est pas cher, 10 dollars américains pour trente pilules, non, en effet, c'est pas cher, alors on commence tout de suite, parce qu'on leur fait confiance, grosse différence, n'est-ce pas, avec un certain Dr A. qui oubliait toutes les cinq minutes la dose de Z que je prenais.

Alors oui, techniquement, on est maintenant passés à des journées « Z + R + E », mais bon, on ne va pas compliquer les choses, pour le moment, tant que je continue à prendre du Z, on reste ici, ce n'est pas vraiment encore un nouveau « chapitre ».

J'ai donc commencé il y a cinq jours déjà, à B***, pendant le séjour. Pas de gros effets secondaires, semble-t-il, sinon peut-être de la constipation et de la fatigue, au moins je ne suis pas allergique, on pourra peut-être construire quelque chose à partir de ça, mais pour ça il faut que je me trouve un nouveau psy à H*** et un bon cette fois, une bonne, ce sera, parce que Dr M. m'a déjà rappelé ce lundi matin après que je lui ai envoyé mon « rapport » sur notre expédition et qu'il m'a dit qu'il allait nous en trouver, un psychiatre, et puis il m'a demandé si je préférais un homme ou une femme, je lui ai dit, après l'expérience avec Dr A., et puis vu le fait que ces « syndromes », là, qui font souffrir sans explication, ils touchent deux fois plus de femmes que d'hommes, peut-être que ce serait mieux, une femme, pour changer, et hop, allons-y pour une femme, il me « promet » qu'il va s'en occuper très vite, j'espère que c'est vrai, parce que, pour le moment, ça ne va toujours pas fort, depuis le retour de B*** surtout, c'est comme si le ballon de baudruche s'était dégonflé, je déprime sec, par contre le mal de dos s'est un peu assagi, peut-être l'effet du E, déjà, qui sait, mais C. désespère de me voir tirer cette tronche, mais je ne peux pas m'en empêcher, j'ai du mal à me raisonner, à être encore patient, après huit mois d'enfer, bon, je suis retourné à la piscine ce midi, ça a fait du bien, mais c'est surtout au réveil le matin que c'est la catastrophe, il faut vraiment que je trouve une solution à ça, en attendant peut-être que je devrais aller à la piscine tous les jours, au moins ça me donnerait quelques heures de répit relatif, mais surtout sans doute qu'il va falloir ajuster la dose du Z, et du R, et du E, et c'est pour ça que je veux voir un psychiatre, une psychiatre à H*** le plus vite possible, je ne veux pas attendre, à B***, j'ai pris l'habitude de l'efficacité, n'est-ce pas.

Quant à savoir s'il est préférable d'avoir un système efficace qui laisse presque dix pour cent de la population sans aucun recours ou un système qui accueille tout le monde mais qui est tellement délabré que ça revient parfois à ne plus pouvoir accueillir qui que ce soit... je laisse ça pour un autre jour. J'ai un petit équilibre tout précaire à retrouver ici d'abord.

Z - Days 106 to 108 Z - Days 117 to 123

© 2000 Pierre Igot

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