Il y a peut-être des idées que le pur penseur n'est pas en mesure d'avoir, parce qu'elles font intervenir un espèce d'intuition que, dans la pureté de sa pensée, il ne se permet tout simplement pas d'avoir.
C'est pour cela que je ne prétendrai jamais être un penseur, mais que je n'accepterai non plus jamais qu'on me dise que mes idées ne valent rien parce qu'elles n'ont pas la pureté de celles qu'un pur penseur croit produire.
Quand je parle de « norme » et d'« anormalité », je ne fais qu'essayer d'exprimer quelque chose que je ressens confusément, que je ne peux ressentir que confusément parce que je ne peux ressentir que confusément. Ça se « démonte » peut-être et se réduit à des choses assez triviales, mais, pour dire les choses franchement, je m'en contrefiche.
C'est ouvert, aussi, à des « interprétations », mais à ça, il n'y a pas grand-chose que je puisse faire, sinon me taire. Et je ne vais pas me taire sous prétexte d'éviter aux gens le malheur de se livrer à des interprétations qui ne seraient pas fondées.
Depuis que j'ai recommencé à prendre trois R par jour, je me sens comme fragile, faible mentalement. J'ai l'impression d'être « malade » psychologiquement — alors que, physiquement, les choses se sont un peu calmées. Je ne me sens pas profondément désespéré, mais triste. Je ne suis pas dépourvu d'énergie, mais je n'ai pas envie de l'utiliser, d'en jouir. J'ai envie de passer des heures assis sur le banc sur la terrasse à regarder les arbres se balancer sous l'effet du vent. J'ai envie d'avoir froid pour avoir le sentiment d'être plus « proche » de la nature, d'en faire partie, de m'y fondre. J'ai envie d'être bêtement poète.
J'ai encore de « mauvais moments », ceci dit, des phases où le mal revient en force, où je le sens prêt à « exploser », même si, pour le moment, il ne l'a pas fait. Autrement dit, je me sens encore « limite », loin d'être à l'abri, loin de pouvoir recommencer tout doucement à faire preuve d'insouciance.
Peut-être qu'il faut donner le temps à cette dose de R de s'installer dans mon système.
Peut-être, peut-être, peut-être. Peut-être que je n'ai rien et que j'ai tout. Peut-être que c'est l'air que je respire, la nourriture que je mange, l'amour que je fais (ou que je ne fais pas), les livres que je lis, les textes que j'écris, le travail que je fais, la façon dont je dors, la façon dont je marche, la façon dont je me tiens, la façon dont je respire, la façon dont j'existe. Peut-être que je devrais changer de corps ou changer d'esprit. Malheureusement, il ne semble pas y avoir trop de recherches qui soient faites dans ces domaines à l'heure actuelle. On parle plutôt de remplacer mon foie par celui d'un porc ou de manger des tomates avec des gènes d'ours blanc albinos. Va falloir encore patienter un peu, je crois bien.
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© 2000 Pierre Igot