Z - DAYS 40 TO 44


Je suis toujours en train d'essayer de marcher. Je continue de subir des « crises » à répétition, trop fréquentes, trop longues, trop intenses. Les quelques journées moyennement paisibles de la semaine dernière n'étaient qu'un « bon moment » passager. On n'est toujours pas sorti du labyrinthe.

Mardi, je me sentais si mal après le petit déjeuner que je suis retourné voir Dr C., le généraliste qui m'avait aidé un peu en mars/avril (le premier à m'avoir prescrit les calmants). Il n'avait pas le temps de me parler longuement ce matin-là, mais il m'a invité à prendre un rendez-vous avec lui (une première, qui semble indiquer qu'il serait prêt à m'accepter comme patient régulier). Je lui ai fait comprendre que je n'en pouvais plus d'attendre et il m'a alors dit qu'il était de garde le lendemain (mercredi) et que, si la journée n'était pas trop bourrée, il essayerait de me voir.

Sa secrétaire m'a appelé mercredi à 13 h. Je suis allé le voir à 15 h. Nous avons passé plus d'une heure ensemble. Il m'a dit avoir téléphoné à Dr A., avoir sa lettre, il m'a montré le diagnostic, un nouveau nom, « somatoform disorder », et il a entrepris de m'expliquer ça. En gros, il y a quelque chose qui cloche dans ma cervelle et qui fait que j'exagère inconsciemment le mal dont je souffre au point que ça devient insupportable. Le mal est bien réel, je ne le feins pas, je ne joue pas la comédie, mais il est distordu, exacerbé par quelque chose que je ne maîtrise pas dans ma petite cervelle et qui a peut-être « lâché » pour la première fois une belle nuit de janvier 1995. Plus précisément, il s'agirait chez moi d'un « Undifferentiated Somatoform Disorder », qui n'est qu'un des membres de la famille.

Il m'a lu la description de ce « désordre ». Il m'a parlé des solutions possibles. Il y a d'autres antidépresseurs que je pourrais essayer, qui font partie de la génération précédente, qui s'attaquent plus spécifiquement au traitement de la douleur, mais qui ont aussi des effets secondaires nettement plus inquiétants. D'autre part, il y a évidemment la psychothérapie ou l'« éducation psychologique » comme il l'appelle aussi. Il me recommande d'essayer avec J.W., puisqu'on a entamé le processus, mais il ajoute qu'il fait lui-même de la psychothérapie, même s'il n'a pas de formation spécifique dans ce domaine, c'est juste un domaine qui l'intéresse.

C'est quand même fou combien les choses peuvent être claires avec une personne (Dr C.) et impossibles à suivre avec une autre (Dr A.). Dr C. m'a d'ailleurs lui-même dit qu'il avait essayé de demander à Dr A. quelle « méthode » celui-ci avait adopté avec moi, que Dr A. s'était lancé dans toutes sortes d'explications, qu'il avait parlé, parlé, mais que, au bout du compte, il (Dr C.) l'avait simplement remercié et avait raccroché sans avoir la moindre idée de l'approche que Dr A. avait adoptée. Je suis content d'apprendre que ce n'était pas juste dans ma tête, donc. J'ai quand même été gentil, j'ai dit à Dr C. : « Je ne mets pas en cause les compétences professionnelles de Dr A., c'est juste que le courant ne passait vraiment pas entre lui et moi. » En fait, en toute honnêteté, je les mets en cause, les compétences professionnelles de ce monsieur, et je me demande combien il y a de lunatiques qui traînent dans les rues de W*** après avoir subi un « traitement » chez Dr A. On ne peut pas s'empêcher de se demander, bien entendu, pourquoi il est venu se réfugier au fin fond de la Nouvelle-Écosse. Il aime la mer et les bateaux, dit-il. Ouais. Peut-être. Enfin, tout ça, c'est du passé, je ne veux plus vraiment penser à Dr A. Dr C. semble prêt à m'aider. C'est déjà ça.

Mais ça ne me donne pas de solution pour le moment. Oh, je sens bien que je suis un peu moins anxieux dans l'absolu, que je ne risque pas de paniquer aussi facilement qu'il y a quelques semaines, mais quand même. On est loin d'avoir fait de grands progrès, comme je l'ai cru pendant un moment la semaine dernière. J'ai encore tout simplement trop mal et pas assez de force mentale pour me dire que ce n'est « que de la douleur ». Si Dr C. a raison, c'est effectivement ça le problème. A-t-il raison ? C'est ça mon problème.

P. m'a demandé il y a deux jours dans un courrier si je me sentais mieux. J'ai répondu que non, en glissant quelques détails. Il n'a pas répondu pour le moment.

Dr C. me dit que le Z peut prendre jusqu'à huit semaines avant de vraiment avoir de l'effet. Mais il me dit aussi que mon problème n'est ni la dépression ni l'anxiété proprement dite, même si j'ai bel et bien des symptômes qui relèvent de chacune, et que donc le Z risque de n'aider qu'en partie. Pourquoi le P avait-il davantage aidé en 1995 alors ? Je ne sais pas trop. Peut-être que, comme c'était la première fois que je prenais une telle pilule, je m'étais davantage « laissé faire » par le produit à l'époque qu'aujourd'hui. Ça m'inquiète un peu, parce que je ne sais pas quoi faire pour me laisser faire de nouveau cette fois-ci.

Un des frères de C. est en visite pendant quelques jours avec sa femme et ses trois petits enfants. C'est évidemment fatigant, stressant. Mais c'est un test, aussi, et il va y en avoir d'autres puisque la rentrée se rapproche. Il faut que je me fasse à l'idée. Il faut que je m'arme, que je redevienne plus solide mentalement, et vite. Je peux toujours me réfugier dans les calmants, je suppose, si ça ne va vraiment pas, mais je n'en ai vraiment pas envie, je vais résister à cette tentation autant que possible.

J'ai écrit les deux textes des jours précédents dans un état assez pitoyable, à la main, sur la terrasse, au soleil, en me disant qu'il fallait peut-être que j'adopte une approche différente dans les moments de crise. Je ne sais pas trop. J'ai tendance à avoir le sentiment qu'ils sont plus « vrais », plus fidèles à ce que je ressens que les ratiocinations auxquelles je me livre ordinairement. D'un autre côté, comme le dit C., ils peignent un tableau peut-être encore plus noir de la situation et il est difficile de dire quelle nuance de noir, celle de ces textes ou celle de cette prose informe, est la plus juste. Sans doute ni l'une ni l'autre. Je ne peux qu'essayer de circonscrire, de saisir des bribes de vérité. On peut aussi se dire que la vérité est dans le délire et alors j'en suis bien loin. Mais tout ça n'a pas trop d'importance pour moi pour le moment. À vrai dire, rien n'a d'importance sauf l'évolution au jour le jour de cette bête qui m'habite et ne veut pas me quitter. Et ça fait sans doute partie du problème.

Z - Day 39 Z - Days 45 & 46

© 2000 Pierre Igot

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