Z - DAYS 37 & 38


Combien de temps faut-il attendre avant que ces choses prennent enfin un sens ? Combien de souffrance trop réelle faut-il supporter avant qu'on lui trouve une cause ? Combien de faux remèdes faut-il essayer en vain avant qu'un effet se manifeste ?

J'ai connu des souffrances morales aussi ridicules que celles de mes semblables. J'ai désespéré d'en sortir aussi souvent qu'eux. Mais, dans tout cela, je n'avais jamais vraiment mal. Je m'offrais le luxe d'avoir « mal à l'âme », parce que mon corps me laissait plus ou moins tranquille.

Maintenant, je suis confronté à la vraie douleur et je ne sais pas quoi faire ni penser. D'autres ont souffert comme moi (et d'autres souffriront). Ont-ils trouvé (trouveront-ils) un sens à tout cela ou se sont-ils contentés (se contenteront-ils) de « survivre » au jour le jour jusqu'à la fin ? Puis-je espérer trouver dans cette condition une raison profonde dont la connaissance me permettrait, sinon de me débarrasser du mal, du moins de vivre en paix avec lui ?

Je regarde autour de moi et je vois des gens qui se réfugient dans une « foi » quelconque. Cela va-t-il m'arriver un jour prochain ? Vais-je soudain me mettre à croire en quelque chose qui donnerait un sens à ce que je subis sans logique apparente ? Vais-je avoir une « révélation » ?

Je n'arrive pas à imaginer une telle chose pour moi. Je ne vois pas comment je perdrais tout d'un coup mon scepticisme. À la moindre amélioration (toute relative) de ma condition, mes pensées retrouvent trop facilement le confort dans lequel ce scepticisme m'a permis de vivre pendant de longues années sans difficulté majeure. Ce n'est que quand le mal m'attaque avec toute sa force que je me mets à douter de la viabilité de ce scepticisme. Mais je n'ai pas plus alors de certitude concernant la viabilité de quelque croyance que ce soit. Je perds le confort du scepticisme, mais je ne gagne rien. Je ne fais aucun progrès dans la moindre « autre voie ». Je ne vois que la proximité de la mort, de la panique, de la « crise », du désespoir, de l'insupportable. Et je ne sais pas du tout quoi en faire, ce qui ajoute encore à ma peur, évidemment.

Tout est une question d'intensité et de fréquence. Si j'arrive à réduire l'intensité des crises et leur fréquence, je renforce du même coup ma capacité d'en sortir plus vite, je deviens globalement plus « solide », la perspective de la rechute s'éloigne, j'ai de nouveau tout l'avenir devant moi. Je m'étais bien engagé dans cette voie au cours des dernières années. Et puis, je suis brutalement revenu au point de départ, au carrefour que j'étais parvenu à fuir.

J'étais parvenu à fuir grâce à une pilule — du moins je le crois. Je n'en suis plus totalement sûr, parce que cette pilule m'a trahi. Peut-être qu'elle a seulement eu, à l'époque, un « effet de surprise » qui a libéré un autre facteur d'amélioration dont j'ignore la nature.

Il semble que, avec cette nouvelle pilule que je prends maintenant, il y ait bien une certaine amélioration d'ensemble, mais que l'effet de surprise n'existe plus, peut-être tout simplement parce que c'est la deuxième fois que je passe par le même combat.

Quelle solution alors ? Compter sur l'effet de surprise d'un autre type de traitement ? Tenter de se passer de l'effet de surprise et d'arriver au résultat qu'il a produit par d'autres moyens ? Ou abandonner ? Est-ce qu'abandonner est une solution ? Est-ce que j'ai vraiment envie de baisser les bras ? Je n'en ai envie que quand ça va mal et parce que ça va trop souvent trop mal. Mais je crois aussi que ce dont j'ai réellement envie, c'est l'attention que je crois le fait d'abandonner capable d'attirer sur ma situation. Or cela n'est peut-être pas le cas. Peut-être que, pour dire les choses simplement, le monde se fiche éperdument que je sois mort, vivant ou horriblement malade — et qu'il n'y a rien que je puisse faire pour changer cet état de fait. Autrement dit, la responsabilité de cette condition me reviendrait tout entière.

Une telle responsabilité me fait peur. Je ne sais pas si j'ai le courage de l'assumer. Pour moi, cela reviendrait à trouver une sorte de « foi ». Dire : « oui, je suis capable d'assumer la responsabilité entière de cette condition », cela revient à déclarer sa foi en quelque chose — et tout redevient possible. Mais je crains que ce ne soit tout simplement pas « dans ma nature ». Ma nature semble être d'avoir mal et ne pas savoir quoi en faire. Ma nature est d'avoir peur du mal. Ma nature est d'envisager le pire. Et on dirait qu'il me faudrait la brutalité d'un traitement chimique (ou autre ?) pour arriver à en changer suffisamment pour pouvoir vivre avec ce mal dont il semble qu'il soit impossible de se débarrasser.

Où est ce traitement ? Comment vais-je le trouver ? Quand ?

Z - Days 35 & 36 Z - Day 39

© 2000 Pierre Igot

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