Z - DAYS 22 TO 26


Journées d'enfer. L'enfer sous ses diverses formes à peine tolérables. L'arrêt du R s'est avérée être extrêmement pénible. Symptômes de sevrage, je suppose — mais d'une intensité ahurissante par rapport à la petitesse de la dose que je prenais encore (le minimum absolu, 0,5 mg par jour). Ça a commencé le mercredi, comme je l'ai évoqué ci-dessus, avec une « crise » en fin d'après-midi. Ça ne s'est pas amélioré après la crise. Passé une nuit épouvantable, avec un réveil brutal au milieu. Les pires souvenirs... État de délabrement jeudi toute la journée, qui a fait que j'ai dû demander à C. de me conduire à Y*** pour le rendez-vous avec Dr A., dans le brouillard. (Je lui ai en fait téléphoné le matin pour lui décrire la situation et lui demander si ça valait la peine. Il a dit que oui, que le but de la thérapie était, entre autres, de se substituer aux médicaments, au R en tout cas, pour ce qui est de l'anxiété, alors oui, ce serait bien si je venais.)

La séance a été entièrement consacrée à cet état de crise. Il a trouvé que je décrivais bien la division entre mon moi rationnel et mon moi « vulnérable », qu'il présente, quant à lui, comme étant « child-like », même s'il ne s'agit pas d'un « inner child », il n'utilise pas ce concept, mais il évoque le côté puéril de ce moi. C'est celui qui ressent les émotions, toutes les émotions, des meilleures aux pires. Il faut que j'apprenne à le réconforter moi-même, apparemment. Je ne sais toujours pas comment, mais je suppose que ça sert à quelque chose de mettre un nom sur les choses.

Nuit de jeudi à vendredi pas mieux, en partie sans doute à cause de la perspective du voyage à H*** pour aller voir le neurologue ami de la soeur de C. Cette fois, incapable de s'endormir — ce qui devrait intéresser Dr A., qui a apparemment une passion pour les troubles du sommeil. Mais je sais bien que je ne suis pas insomniaque de nature. Je n'ai jamais eu de problèmes de sommeil que dans les périodes de C., comme en 1995 où j'ai pris des somnifères pendant plusieurs mois. Je ne me souviens pas exactement de la façon dont le sevrage s'est déroulé (je pourrais retrouver des notes de l'époque, peut-être), mais c'était sans doute assez analogue à l'arrêt du R. Tous ces médicaments sont des variantes du valium, si je ne me trompe.

Matinée du vendredi limite, avec une crise pour commencer après le petit déjeuner (grosse sueur, grosse angoisse sur le canapé, pendant une demi-heure), où on évoque même la possibilité d'annuler le voyage à H***, mais il faudrait y aller, ce rendez-vous avec Dr M. est une occasion à ne pas manquer, quand même. La crise passe à peine, toujours beaucoup de douleur, besoin d'aller s'allonger au lit toutes les demi-heures pendant dix minutes. Retour aussi de la « peur au ventre » que je connais trop bien, ce sentiment d'avoir des entrailles qui sont en train de se manger, de se digérer elles-mêmes, j'ai le souvenir particulier d'une après-midi de 1995 où c'était tellement fort que nous en avions pleuré tous les deux, C. et moi, sur le canapé, dans le salon de la maison louée où nous habitions alors, dans une atmosphère de désespoir total. Ça n'a pas encore été aussi fort, cette année, mais c'est reconnaissable et l'arrêt du R semble avoir favorisé le retour de ce symptôme.

Départ pour H*** après le déjeuner, pris de bonne heure. Toujours le brouillard. C. conduit. Le temps s'éclaircit. Il fait très chaud, très lourd. Il y a des travaux sur l'autoroute et nous sommes bloqués pendant 25 minutes. Rien à faire. Je ne panique pas, mais le sentiment d'oppression n'arrange rien. Arrêt à W***, pour aller voir le frère opticien dans son magasin, qui a quelque chose pour nous. À peine le temps de leur parler cinq minutes, à lui et à sa femme. Ils nous proposent de passer chez eux à la maison samedi en rentrant, voir leur nouvelle piscine et se détendre un peu. On ne promet rien. On repart et je prends le volant, parce que C. n'aime pas conduire en ville et que je me sens un tout petit peu mieux.

Arrivée à l'hôpital à 15 h 55 pour un rendez-vous à 16 h. Il est à l'heure. Il est très aimable. Il nous garde pendant une heure et demie. Il lit mon résumé de deux pages, les résultats des derniers tests, les dernières lettres des médecins (celle où le gastro-entérologue dit que je suis « agressif » — incroyable comme il y a des gens qui sont absolument incapables de la moindre compassion, quand même), ça prend dix minutes pendant lesquelles rien ne se passe, mais ensuite il m'examine sous toutes les coutures, avec un petit accent mis sur les aspects neurologiques, je le vois bien, mais quand même, pas seulement. Il appelle aussi l'hôpital de Y*** pour obtenir les résultats de mon lavement baryté (que je n'ai toujours pas). Apparemment, j'ai un colon trop gros, un « mégacolon ». Il ne veut pas spéculer sur les causes. Il dit qu'il va en parler directement au gastro-entérologue. Après tout ça, il s'assied et se met à nous parler plus longuement. Il dit qu'il était pessimiste avant de me rencontrer, après tout ce que lui avait dit la soeur de C., mais qu'il est plus optimiste après m'avoir examiné et avoir entendu toute mon histoire. Il dit très franchement que, pour lui, il est clair que je ne suis pas un « nut case » (un taré), que mes problèmes sont bien réels, qu'il est étonné qu'on n'ait pas essayé certains médicaments, effectué certains examens, qu'il est bien rare, à l'heure actuelle, que les médecins ne soient pas capables d'aider les gens qui souffrent de douleurs chroniques comme moi, il dit que je ne devrais pas hésiter à prendre des calmants si ça m'aide, les gens qui en ont vraiment besoin n'en deviennent pas dépendants, la dépendance, c'est pour ceux qui en prennent pour s'amuser (c'est du valium), il veut organiser des radios de ma colonne vertébrale, qui est vraiment tordue, il dit qu'ils ont un excellent radiologue à H*** et qu'il veut que je passe ces radios là au lieu de Y***, ils ont aussi une « pain clinic » à H*** qui est très bonne, bref, il voit plusieurs possibilités, plusieurs choses à explorer, il dit qu'il va faire en sorte que ça se fasse vite, que les radiologues lui doivent quelques faveurs et qu'il va en profiter, il dit qu'il va lancer les choses dès la semaine prochaine, après le long week-end (lundi férié), c'est demain, maintenant, ça, on va bien voir, c'est le deuxième message que je laisse sur le répondeur de la secrétaire du gastro-entérologue, toujours pas d'appel, c'est ridicule.

On sort de là avec au moins un petit sourire au coin des lèvres. Enfin quelqu'un qui prend les choses un peu au sérieux. C. n'a pas pu s'empêcher de verser quelques larmes pendant qu'il parlait (trop de tension accumulée), moi, j'étais encore étourdi par la douleur, avec un gros mal de tête, le mal de tête empire après qu'on est sorti de l'hôpital, quand on va faire quelques courses (il faut bien). C'est un mal de tête épouvantable, je ne sais pas comment je tiens debout et je conduis, mais j'y arrive, on arrive chez le père de C. vers 19 h 30, on s'assied pour manger et le mal de tête s'en va progressivement, avec la nourriture, avec le relâchement, c'est de toute évidence un mal de tête de « tension », mais je n'y peux rien, je n'arrive pas à le contrôler.

La fin de la soirée se passe relativement bien, on regarde un match de foot, la nourriture passe assez bien, on va se coucher, il fait très chaud, très lourd, mais j'arrive à m'endormir assez vite et je dors une nuit pleine, sans doute la fatigue accumulée depuis deux jours, mais signe que le sevrage a peut-être dépassé son apogée.

Réveil et matinée toujours assez difficile, mais au moins je chie tout de suite après le petit déjeuner, encore du caca dur et blanc, toujours du baryum dans le système, on fait ce qu'on a à faire à H***, on repart à midi, on s'arrête pour manger et pour l'épicerie à la sortie de la ville, le repas passe assez bien, et puis on s'en va chez le frère à W*** voir sa piscine, après tout, on a le temps et ça va tolérablement.

La piscine et toute la structure en bois sont superbes, il fait assez beau, on prend un thé et puis on va se baigner, ça fait du bien, on grignote un peu, je ne me sens pas trop mal, on repart, on s'arrête chez la mère de C., on grignote encore un peu, on repart, ça ne va pas trop mal du tout, on arrive à la maison à 19 h 30, on déballe, on mange et, au moment de se coucher, je commence à sentir de la douleur qui revient, subrepticement. Pas d'affolement, je prends quelque chose contre le reflux, au cas où, je m'endors, je dors toute la nuit, mais au réveil, c'est de nouveau la catastrophe, horrible douleur dans tout le dos, ventre paralysé, vagues de nausée, rien à faire. Je me lève et je mange. Il faut que je travaille, j'ai un truc à terminer pour la fin de la journée dernier délai, c'est bien moi, ça, d'accepter du travail supplémentaire à faire le dimanche alors que je suis mal, je ne sais pas dire non, je travaille comme un zombie, je ne panique pas, parce que C. est là, parce que c'est dimanche, une journée calme, sans ouvriers, sans bruit, et qu'il fait beau, mais quand même, c'est affreux, c'est horrible, ça ne passe pas après le repas de midi, j'ai fini le travail à 3 h, j'appelle la personne à qui il est destiné, elle vient le chercher, on s'assied à la terrasse pendant une heure, je bois de l'eau, mais ça ne passe toujours pas, je fais semblant, on discute, mais j'attends qu'il parte, que je puisse aller m'allonger, je n'ai pas chié de la journée, toujours ce baryum dans le système et constipé maintenant en plus. Comme Dr A. m'a dit de l'appeler n'importe quand si j'en ressentais le besoin, j'appelle son pager. Il me rappelle immédiatement. Je lui explique, la crise, l'absence relative d'anxiété, mais le profond désespoir, je ne me vois pas endurer ce type de mal pour le restant de mes jours, ce n'est pas acceptable, je suis tellement découragé, je craque presque au téléphone, il me dit que c'est bien de téléphoner, d'en parler, que je peux recommencer le calmant si je veux, 0,5 mg, c'est une toute petite dose, si c'est ça qu'il me faut, mais je ne veux pas, il me dit que c'est moi qui décide, que je peux le rappeler demain (aujourd'hui) si je veux, si ça ne va pas mieux, si je veux prendre le calmant, je le remercie, la fin de la soirée est encore difficile, on va de nouveau se coucher tôt, et puis de nouveau je n'arrive pas à m'endormir, deux nuits complètes, j'ai pris un peu d'avance alors le sevrage reprend un peu du poil de la bête, je suppose, et puis j'ai peur, je suis dans une phase intermédiaire entre l'éveil et le sommeil et j'ai peur de paniquer, j'ai peur d'avoir peur, je n'arrive pas du tout à maîtriser cela, ça dure une heure, deux heures, C. ne dort pas non plus, vers 1 h du matin elle se met à me masser le ventre et pour une raison ou une autre, je m'endors.

Ça va un peu mieux en se réveillant, ce n'est pas aussi épouvantable que la veille, même si ça reste très dur. Je ne prends pas de calmant. J'essaye de tenir. C'est pas évident. J'arrive mieux à travailler, quand même. Je chie deux fois dans la matinée. J'hésite à aller à la piscine. Je me sens un peu étourdi. Mais je prends mon courage à deux mains et j'y vais. J'arrive à faire 24 longueurs. Je me sens étourdi, un peu paniqué sous la douche, tout seul dans les vestiaires. Mais je ne panique pas. Je rentre sous une pluie torrentielle. Toujours cette sensation de ventre qui se mange lui-même, surtout quand l'estomac est vide. On mange. Ça passe un peu. Je travaille tout l'après-midi et me revoilà à taper de nouveau les mêmes choses dans ce journal, ça faisait plusieurs jours que je n'avais rien écrit, pas l'énergie, pas la force, pas le courage. J'ai le courage de le faire aujourd'hui, c'est peut-être bon signe. Ça fait presque une heure que je tape sans arrêt. Il est temps de se reposer. Je veux aller mieux. Je ne veux pas reprendre le calmant. Mais je suis encore inquiet, très inquiet, pour demain, où il faut que j'aille à Y*** voir Dr A., pour septembre, où C. retourne au travail. Ça me fait encore trop peur, tout ça. La virulence du mal est encore trop près de la surface, trop récente. Ça continue à tourner en rond. Il faudrait une bonne petite ligne droite maintenant. Ce serait bien si elle commençait aujourd'hui.

Z - Days 20 & 21 Z - Days 27 to 29

© 2000 Pierre Igot

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