Sape


On a peut-être remis l’ironie à des temps meilleurs, mais vos allusions dévoilées à des morceaux de chair poilue ou non ne me font pas rire — et ça ne date pas d’hier. Votre paillardise à peine contenue m’ennuie. Surtout quand vous prétendez, deux minutes plus tard, être redevenu très sérieux et pouvoir parler proprement des grands débats de ce monde.

À vrai dire, vous me dégoûtez, et votre mépris pour mon dégoût m’écœure. Continuez sur cette voie, et je vais peut-être finir par dégueuler sur le bas de votre culotte, ce qui vous fera sans doute passer sans transition du mépris à la haine. Ah, ça vous énerve, que je finisse par vous salir de façon incontrôlée à cause de votre propre laideur. Eh bien, prenez-vous-en à tout ce qui cautionnait vos grivoiseries de tout à l’heure.

On a peut-être remis l’ironie au retour de l’indolence protectrice, quand les esprits calmés pourront de nouveau saisir que je veux en venir sans voir où je veux en venir. Mais on n’a rien gagné au change. C’est que je peux mieux m’en passer que vous, de votre envie de rire-fuir au ventre.

L’heure est grave et la minute atroce sous la torture. Mais à vous qui payez pour le temps qu’on vous consacre, qui décomptez les cent façons de dire votre peine sans risquer qu’on vous reconnaisse, à qui on va bien finir par arracher le silence, il y a une sérénité qui dit merde et ma douleur qui passe à côté de vos hommages. À vous, il y a l’envie de peindre des insultes et celle de les composer sur un fond numérique que vous reconnaîtriez jusqu’à la première virgule décimale un peu abstraite et son trait assuré face à l’hystérie collective des eunuques qui pensent avoir surmonté le pire.

On a peut-être remis l’ironie aux calendes orientales mais la menace qui vous sépare de la fuite trouvera d’autres formes d’expression qui dérangent sans bousculer et rongent. Il n’y avait, après tout, d’ironie virtuelle que par référence au papier perdu. Rien n’empêche les tripatouilleurs d’éternité de concevoir des algorithmes vivants pour vous persuader d’être con. Une opération, et la cascade des styles vous emporte. Bon voyage.

Je suppose qu’il s’agirait désormais de s’attaquer sérieusement au travail de sape sur lequel l’ironie permettait de s’asseoir. Certain livre demanderait à être écrit. Si vous découvriez en vous une grosseur qui s’est développée à votre insu et qui a pris les apparences d’un organisme autonome, avec des vaisseaux sanguins, une peau, des poils et même des organes, vous vous attelleriez tout de suite à la tâche.

On n’a encore rien détecté de tel, mais on parle de signes. À d’autres de signaler qu’elle parle.


© 2001 Pierre Igot

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