C'EST LE FOU QU'ON ENTERRE


Il faudrait s'arrêter de temps à autre, se poser des questions essentielles au lieu d'agir aveuglément selon des lois superficielles et interchangeables qu'on exècre dès qu'on y pense. Mais la nécessité même de cet arrêt momentané n'est pas établie, loin de là. Le mieux que je puisse faire est de m'arrêter dans l'intervalle qui sépare le moment où je la ressens et celui où je me souviens (me rends compte ?) qu'elle n'est pas établie. Or dans mon cas cet intervalle est plutôt court — rarement assez long pour que j'aie le temps de commencer à me poser la moindre question.

Plus précisément, il y a dans ma volonté comme un jeu, une certaine possibilité de variation de la durée de l'intervalle (jamais bien long) et de la quantité de débuts de questions qu'il autorise. J'ai des périodes, des semaines où presque rien ne se passe parce que les intervalles sont trop courts. Je me sens coupable à un niveau très diffus et très secondaire parce que cette culpabilité est du même ordre que la nécessité, qui fait à peu près défaut.

Ce soir, par exemple, je regarde un film (Two Deaths) qui devrait me « stimuler » — un de ces films qui, bien qu'ils se fondent sur une intrigue somme toute théâtralement bien classique dans ses procédés, parviennent d'emblée à établir une certaine « atmosphère » qui n'exige pas trop de détails, mais qui les accepte sans difficulté. Ce type de film devrait remettre en marche dans ma cervelle quelques milliers de réseaux neuronaux encrassés et susciter par là (mais de façon très indirecte) une augmentation significative de l'activité de ses parties « nobles », de celles dont je crois savoir qu'elles parviennent, quand elles le veulent bien, à produire des choses, des questions qui s'appuient suffisamment peu sur des supports extérieurs pour être à tout le moins peu douteuses (valables, c'est une autre histoire...).

Cependant, ce n'est pas vraiment ce qui se passe ce soir (un peu quand même) et c'est sans doute dû (si on peut parler d'une cause) au fait que je suis de nouveau dans une de ces « périodes ».

Je suppose que je « devrais » être frustré, agacé, exaspéré par cette impuissance, cette stérilité. Mais les raisons qui expliquent cette stérilité sont celles mêmes qui m'empêchent d'avoir des sentiments et des envies trop intenses à ce sujet — et ce sont des raisons qui, tout compte fait, m'échappent totalement.

On voit bien que, dans de telles conditions, je suis bien loin de penser que je « devrais » les combattre, ces causes (ou du moins leurs effets), que je « devrais » m'efforcer de chercher, par tous les moyens, à sortir au plus vite de cette période de relative inactivité. Non pas que l'idée ne m'effleure de façon systématique dès que le moindre signe ou objet me rappelle à ma tâche. (Je suis bien trop névrosé pour arriver jamais à me débarrasser de cette obsession-là.) Mais tout cela (devoir, souvenir de ma tâche, etc.) baigne dans une sorte de vase, de bouillie que, dans les beaux jours, je décris, pour simplifier très grossièrement (comme si j'en avais besoin), comme étant elle-même l'objet de mon travail (mais on voit que c'est un refuge facile).

Mieux demain ? ou pire ? En général, je l'oublie. Il n'y a pas d'échelle parce qu'il n'y a pas d'observateur assez buté pour se replacer tous les jours, toutes les heures au même endroit. Des tendances qui se dégagent, tout au plus, quand l'humeur est là.

Surobsédé par des reliques
Ou perdu par un fond de tripes
Plus évanescent que la merde en cuve
Qui le cherche

On décide d'après le temps passé à pousser
Pas la couleur ni la texture


© 1997 Pierre Igot

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