C - DAY 54


Une nouvelle journée plutôt épouvantable sous C à 20 mg... Je doute d'ailleurs que la diminution de la dose y soit pour quelque chose. Au contraire, il semble que, lorsque j'arrête un de ces médicaments (antidépresseurs), il y ait comme une courte période d'« euphorie » (toute relative) qui se traduit par une diminution des symptômes psychiques (moins d'anxiété, moins de dépression, pas de panique à l'horizon). C'est en tout cas ce que j'ai ressenti en janvier 2000 lorsque j'ai arrêté (brutalement) le Paxil et à nouveau en mai 2000 lorsque j'ai arrêté le Paxil avant de commencer le C.

Et cela s'est confirmé une fois de plus. La journée sous C à 20 mg a, comme dit, très mal commencé. Douleurs habituelles au réveil, mais surtout accentuation de la douleur et de tous les autres symptômes aussitôt le petit déjeuner avalé. À tel point que, vers neuf heures, sachant que C. allait rentrer de sa marche d'une heure et quart d'un moment à l'autre, je suis parti à pied à sa rencontre en traînant mes savates comme un être désespéré errant sans but, juste incapable de rester sur place et de tolérer la douleur. Elle est arrivée au bout de notre allée alors que j'étais à peu près au milieu et j'ai continué à marcher vers elle, tandis qu'elle venait à ma rencontre, en la regardant fixement dans les yeux, malgré le soleil levant qui éblouissait les miens. Elle n'a pu que m'étreindre en silence avant de me demander d'une voix douce si ça n'allait vraiment pas, sachant très bien la réponse. Elle a parlé d'aller voir le médecin du coin, je lui ai dit que je n'en voyais vraiment pas l'intérêt, que je ne voyais vraiment pas ce qu'il aurait à me proposer. J'étais une épave ambulante sans symptômes détectables, tout simplement. Comme j'ai pu l'être à de nombreuses reprises au cours des derniers mois, avec des niveaux variables d'intensité. L'idée que ça aller passer, forcément, tôt ou tard, ne m'était d'aucun réconfort. Ce mal est vraiment abrutissant.

Je suis rentré m'allonger à plat ventre sur le lit. Ça n'a pas apporté de grand soulagement, ça ne marche plus comme ça, il ne suffit plus de s'allonger. Cependant, c'est comme si ça me permettait de reprendre un tout petit peu de forces psychiques. Au bout d'un gros quart d'heure, je me suis levé et je suis retourné travailler. J'ai réussi à travailler, comme d'habitude, malgré l'énorme poids sur ma tête. Évidemment, c'est cette journée que PageMaker a choisie pour se mettre à déconner dans tous les sens, alors je me suis retrouvé à faire redémarrer ma machine plusieurs fois, ce qui prend toujours plusieurs minutes à cause du nombre de périphériques branchés. Au lieu de rester planté devant mon écran gris à ruminer en attendant que tout se remettre en branle, c'était à chaque fois un bon prétexte pour me lever et aller voir ce que faisait C., ce que bricolaient les ouvriers, essayer de trouver une raison de sourire, oublier un peu.

J'ai lancé un appel à l'aide sur Internet, vu qu'il s'agissait visiblement d'une bogue dans le logiciel, d'une histoire de feuilles de styles corrompue et que je me demandais si quelqu'un connaissait une solution. Comme d'habitude, je savais par avance qu'il n'y en avait sans doute pas (dans ce domaine, les logiciels d'Adobe ne sont guère meilleurs que ceux de Microsoft — heureusement qu'ils sont cent fois moins « atteints ») et qu'il fallait sans doute que je recommence à zéro, ce que j'ai fait. J'ai d'ailleurs reçu une réponse unique deux heures plus tard confirmant mon intuition. Quand un logiciel se met à refuser de retenir les changements que vous avez pourtant enregistrés, ou même à refuser d'enregistrer les changements que vous voulez apporter, en général, c'est mauvais signe. Vous avez beau essayer, le même message d'erreur sans signification vous revient en pleine face avec à chaque fois le même petit sursaut intérieur que vous ne pouvez pas vous empêcher de ressentir parce que vous aviez secrètement l'espoir que, pour une fois, ça allait marcher, ça allait passer. Au bout de quinze fois, vous vous dites que ça fait assez de sursauts intérieurs pour rien dans la journée et vous changez de stratégie.

Bref, j'ai avancé dans mon travail. J'ai fait un plat avec le reste de riz et de poisson de la veille et on a mangé dehors sur la terrasse avec les ouvriers. Je me suis laissé emporter par une discussion sur les CD, les CD-R, les DVD, les DVD-RAM, etc. C'est agréable d'avoir des ouvriers curieux. Ça distrait, en tout cas, comme me l'a fait remarquer C., qui m'a quand même fait signe en revenant du jardin, derrière leur dos, qu'il était temps de mettre fin à la discussion pour qu'ils puissent retourner à leur travail. Ce que j'ai fait, à l'occasion d'un appel téléphonique bien opportun.

Et puis l'après-midi, comme ça, sans prévenir, l'amélioration a commencé à se manifester. Comme un ciel qui se dégage. L'esprit s'allège un peu. L'intensité des symptômes descend d'un cran, ou en tout cas est descendue d'un cran au moment où on s'interroge de nouveau sur la situation dans laquelle on se trouve. On aide les ouvriers à mettre le premier mur debout. On ne peut pas faire grand-chose, mais on aide quand même. Plus tard encore, l'intensité a encore faibli. En préparant le repas du soir, pendant que C. finit de mettre une première couche de vernis sur les poutres exposées, on se dit qu'il est fort possible que la journée du lendemain s'avère être meilleure. On n'ose pas trop y croire, après plusieurs journées épouvantables, mais les signes semblent être là. La soeur de C. téléphone de Montréal pendant le repas. Elle veut savoir comme je vais. C'est elle qui a dit il y a un mois ou deux : « We'll get to the bottom of Pierre's condition this summer. » C'est elle qui a l'argent et les relations qui pourraient permettre d'arriver à un tel résultat. Mais pour l'instant elle n'a pas fait grand-chose et je n'ai pas l'impression qu'on va arriver au fond de quoi que ce soit avec son aide cet été. La conversation passe à d'autres choses. Elle l'interrompt constamment parce qu'elle reçoit d'autres appels, lors la deuxième interruption, je dis à C. : « Are you gonna ask her what she suggests we do now ? », pas parce que je suis en crise au moment où elle lui parle, mais parce que le dernier état de crise est encore si récent, si frais dans ma mémoire, qu'il remonte au matin même, si elle veut nous aider, il faut qu'elle comprenne ça, combien c'est fort, combien c'est grave, même si les médecins ne voient rien. C. essaye de lui en parler de nouveau quand la conversation reprend, mais encore une fois, on tourne un peu en rond, il y a les vagues promesses du gastro-entérologue que j'ai vu à H*** récemment, on va attendre de voir ce que ça, ça donne, on attend toujours, pendant ce temps, les crises s'apaisent un peu et puis reviennent, moi, je ne me vois pas attendre comme ça pendant une éternité, c'est ce que j'ai dit à Dr A. la veille, d'ailleurs, en lui indiquant bien clairement que l'idée de suicide me traverse parfois l'esprit, pas que je songe à l'exécuter, mais qu'elle se présente quand même comme une solution tout bête, vous savez, plus de vie, plus de douleur, c'est assez irréfutable, et on peut quand même comprendre que ce soit tentant pour certains, je n'en suis pas là, mais je lui dis quand même, ça me traverse parfois l'esprit.

On termine la soirée tranquillement sans faire grand-chose, avec le calmant et les deux paracétamols, comme d'habitude.

C - Days 52 & 53 Z - Day 1

© 2000 Pierre Igot

Retour au tableau chronologique

Retour à la page titre