C - DAYS 52 & 53


Journée passable hier, avec beaucoup de douleurs articulaires le matin cependant. Temps plus que maussade et, comme toujours, difficile de dire si cela a le moindre impact physique sur le mal. Toujours est-il que ce matin, il fait très beau (mais très frais aussi) et que les douleurs articulaires sont encore pires qu'hier.

Seulement hier, comme le temps s'est un peu éclairci dans l'après-midi, j'ai de nouveau « osé » aller marcher, avec C., sans forcer cette fois, et ça ne s'est pas trop mal passé. Et puis j'ai refait, pour la première fois depuis près de six mois, certains des exercices d'étirement que je faisais l'année dernière et qui semblaient avoir aidé à cette époque. Là, par contre, j'ai compris ma douleur, comme dirait l'autre. Certains étirements ont très clairement révélé que la douleur sur le côté gauche, dans les côtes, est plus présente que jamais, même si elle ne se manifeste de toute sa splendeur que lors de tels exercices. En tirant sur les bras vers le haut, allongé sur le sol, j'ai vite constaté que j'atteignais une limite que j'avais réussi à repousser beaucoup plus loin l'an dernier. J'ai aussi constaté que je ne pouvais pas faire certains autres exercices avec la même intensité qu'auparavant, à cause d'autres douleurs tout le long de la colonne, du cou et des épaules jusqu'au bas du dos. Il va y avoir tout un processus de reconstruction.

D'autre part, j'ai de nouveau eu, vers six heures, une petite heure après la marche et les exercices, pendant que je prenais ma douche, l'impression de subir une petite « attaque » de nausée comme celle de samedi et j'ai craint, un moment, de revivre une fin de soirée et une nuit similaires. Heureusement, l'attaque était moins prononcée et cela n'a pas été le cas. Mais on dirait quand même que le moindre exercice physique, même pas intense, continue de poser des problèmes importants dans les heures qui suivent. C'est un changement par rapport à ce qui se passait il y a une semaine ou deux, où j'avais carrément de grosses douleurs dans le dos pendant la marche même, mais ce n'est quand même pas une situation dont je peux me satisfaire. En attendant, ma stratégie consistera pour le moment à ne faire de telles formes d'exercice physique qu'un jour sur deux, pour voir si, le lendemain du jour où je n'en ai pas fait, je me sens nettement mieux ou non.

Tout ça pour dire que la marche et les exercices ne sont peut-être pas étrangers à l'intensité des douleurs ce matin. Ce qui ne les rend pas plus tolérables — pour ça, on continue à se réfugier dans le paracétamol, un moindre mal, je suppose —, mais explique peut-être les choses.

Ce qui est plus préoccupant, c'est que ces douleurs sont toujours et encore accompagnées d'une sensation de « plaie ouverte » dans l'esprit, de cette impression que, à cause de ces douleurs et de leur intensité, je suis à tout moment susceptible de faire une « rechute » et de subir ces vagues de panique et d'anxiété profonde que j'ai plus ou moins réussi à éviter depuis que C. est en vacances. C'est comme si les « traumatismes » des crises récentes avaient laissé des traces encore bien trop perceptibles. Je n'arrive pas à faire en sorte que ces « plaies » cicatrisent, malgré l'aide — bien réelle, je suppose — du C à 40 mg depuis plus d'un mois maintenant.

Mais, en fait, ce ne sont pas ces douleurs qui en sont la cause directe. Pour autant que je me souvienne, j'avais, même l'an dernier, des douleurs aussi intenses parfois, mais je n'avais à aucun moment cette sensation de « plaie ouverte » dans l'esprit et de fragilité mentale impossible à maîtriser. Il y a donc encore autre chose qui cloche. Je suppose que je vais essayer d'en parler à Dr A. Il ne veut pas parler du C et ne semble pas du tout intéressé par l'essai d'autres médicaments, au cas où il s'avérerait que celui-ci n'a pas, dans mon cas, l'efficacité qu'il devrait avoir (ce qui est difficile pour lui à déterminer dans la mesure où ce n'est pas lui qui me l'a prescrit). Il ne veut pas jouer avec les médicaments comme ça et je crois comprendre pourquoi. Il est vraiment convaincu qu'on peut faire beaucoup plus de progrès par la psychothérapie. D'autre part, il a quand même expliqué assez clairement la dernière fois que les antidépresseurs traitent les cas « cliniques » de dépression, c'est-à-dire les véritables déséquilibres chimiques chroniques dont souffrent certaines personnes (d'après les dernières hypothèses dans le domaine, rien de tout cela n'a vraiment été vérifié scientifiquement). Si je souffre de découragement, de « dépression » ou d'anxiété en raison de mon mal, ce n'est pas nécessairement — ou pas seulement — à cause d'un déséquilibre chimique chronique. Le C ne parviendra donc pas à corriger ces variations de mon état mental qui semblent provoquées par autre chose que le déséquilibre ou venir s'ajouter au déséquilibre pour en amplifier les symptômes. Le C parviendra peut-être, au mieux, à atténuer les symptômes en diminuant l'intensité de la partie « chronique » de mes symptômes — et c'est sur ce plan que je suis, pour l'instant, plutôt déçu, puisque je n'observe pas de progrès notable depuis un mois — mais la maîtrise de la partie « critique » de ces symptômes relève d'une thérapie différente. C'est en tout cas comme ça qu'il semble présenter les choses.

J'ai encore des doutes, dans la mesure où j'ai quand même l'impression que le P, que j'ai pris pendant quatre ans et qui a a priori un fonctionnement et un effet similaires au C, m'avait aussi grandement aidé à maîtriser la partie « critique » des symptômes. Pourquoi le P aurait-il marché et pas le C ? Est-ce parce que j'ai rouvert des plaies et qu'il va maintenant falloir du temps pour les refermer ? (Après tout, le P n'a quand même pas eu un effet miracle et il m'a fallu du temps, après avoir commencé la prise de P, pour retrouver un état stable — pour autant que je me souvienne, du moins.)

........

Bon, je viens de voir Dr A. et nous ne sommes pas au bout de nos peines. Les douleurs de ce matin ont continué toute la journée, accompagnées d'une constante sensation de quasi-nausée, un véritable dégoût constant, une sensation d'être constamment à la limite de l'écoeurement, écoeuré de son propre corps. Très, très, très décourageant. Rien n'a fait passer les choses, ni le repas de midi, ni la nouvelle dose de paracétamol. Quand je suis arrivé chez Dr A. vers deux heures, j'étais dans le même état et je le lui ai bien fait savoir. Je lui expliqué tout ce qui s'était passé depuis notre dernier rendez-vous. La crise, la difficile récupération, l'écoeurement, le découragement. J'ai presque « craqué » — je lui ai dit, en tout cas, que j'étais sur le point de craquer, même si cela ne s'est pas produit. Il m'a assuré, bien entendu, que j'étais tout à fait endroit de chialer si j'en avais envie (ce qui n'a pas aidé), il n'arrête pas d'insister sur le fait que « it's OK to feel », il me prend pour quelqu'un qui réprime ses sentiments et qui « rumine » trop au sujet des sentiments qu'il a eus et de ceux qu'il va avoir, c'est peut-être vrai, mais je ne vois pas comment il va me faire changer d'attitude en me répétant simplement que « it's OK to feel », je ne suis quand même le Nord-Américain refoulé typique, il me semble, j'ai quand même un bagage et une culture légèrement plus complexes, je sais ressentir quand il faut, en tout cas je ne passe pas mon temps à réprimer mes sentiments, à y penser au lieu de les vivre — bon, il y a de ça, mais il a aussi bien fallu que j'apprenne à vivre, à survivre du moins avec l'anxiété, la peur, et ça, ça veut dire se raisonner aussi, je ne peux pas me laisser emporter par ces sentiments, on ne sait pas où ça pourrait mener.

Bref, pendant la première demi-heure, il y a eu de longues plages de silence, lui qui prenait des notes ou n'en prenait pas, moi qui regardais dans le vide ou qui croisais son regard de temps à autre, il a commencé à me reparler du fait qu'il se demandait s'il y avait certains « incidents », certains événements dans ma vie qui pouvaient être à l'origine de tout cela, il a évoqué certains « changements de parcours » que j'avais mentionnés lors de sessions antérieures, en précisant bien qu'il ne savait pas s'ils avaient quoi que ce soit à voir avec la situation actuelle, mais qu'il les donnait juste comme exemples d'« incidents », il ne sait pas, pour le moment, s'il y en a qui expliquent quoi que ce soit et, si oui, desquels il s'agit. Je me demande alors comment il va trouver. Il me semble que c'est son boulot, quand même. J'attends qu'il me pose des questions. Long silence.

Et puis je me décide à parler de ce qui, pour moi, constitue les incidents majeurs qui ont un lien avec la situation actuelle, à savoir les différentes crises importantes que j'ai vécues, d'abord en 1995, puis de nouveau cette année, depuis que j'ai arrêté le P et malgré la prise de C. Je lui explique bien combien ces crises ont pu être traumatisantes, je lui parle de la « plaie mentale » évoquée ci-dessus qui se rouvre à chaque fois qu'une nouvelle crise se produit et qui n'arrive pas à cicatriser, etc. Je lui dis de nouveau que je me demande si le C a véritablement de l'effet dans ce domaine, qu'il me semble que ce qui m'avait aidé à m'en sortir en 1995, c'était précisément le P, que je ne peux pas être sûr que ce n'était que le P, évidemment, mais que, quand même, ça semblait avoir marché à l'époque, et que ça ne semble vraiment pas marcher avec le C maintenant, ça fait quand même deux mois que j'en prends à 20 mg et plus de cinq semaines à 40 mg, ça devrait quand même avoir un impact sur les sentiments de découragement, de déprime, il me semble, et regardez comment je me sens aujourd'hui, c'est la catastrophe, ça ne peut pas continuer comme ça.

Et tout d'un coup ça le débloque, il se met à parler médicaments, antidépresseurs justement, à sortir ses bouquins — alors que, comme dit, jusqu'à présent, il avait évité la question, il se réfugiait derrière le fait que ces médicaments avaient été prescrits par quelqu'un d'autre, que ce n'était pas lui qui avait établi le diagnostic, etc. Tout d'un coup, il semble changer d'avis. Pour lui, le remplacement du P (qui ne semblait pas bien marcher non plus en avril/mai cette année) par le C a été une erreur, il aurait mieux valu essayer d'augmenter la dose de P, je lui dis d'accord, c'est la faute de mon médecin de famille, mais justement, c'est vous qui me dites qu'il ne faut pas revenir sur le passé, qu'on ne peut rien y changer, et toc.

Il est d'accord (forcément), il m'explique que le C est nouveau en Amérique du Nord (seulement approuvé l'an dernier), c'est vrai, même s'il est sur le marché en Europe depuis 1989, donc lui a très peu d'expérience avec ce médicament et le peu qu'il a semble montrer qu'il ne marche pas si bien que ça. C'est vrai que c'est l'antidépresseur qui a le moins d'effets secondaires, apparemment, je peux confirmer ça moi-même, mais je peux aussi confirmer qu'il semble que ce soit celui qui a le moins d'effets primaires aussi. En tout cas ça ne semble pas trop marcher dans mon cas. Alors il suggère de changer de médicament.

Une nouvelle fois.

Du Zoloft, cette fois-ci. Toujours la même famille de médicament, évidemment, mais un autre, plus proche du P, antidépresseur, anti-anxiété, mais aussi « anti-obsession », pour m'empêcher de ruminer sans cesse les mêmes idées, les mêmes souvenirs, les mêmes angoisses. Bon.

Il me demande comment on s'y est pris, la dernière fois que j'ai changé. Il propose un changement assez rapide, après tout, c'est le même type de médicament, demain 20 mg seulement, après-demain zéro C et 50 mg de Z le soir (dose minimum recommandée). Il est trois heures, la séance est terminée, on se revoit jeudi après-midi, donc juste avant que je commence le Z, il sera absent vendredi mais sera « de garde » samedi et dimanche et me dit que je peux utiliser son pager si j'en ressens le besoin. (Je ne sais même pas comment ça marche, ces trucs.)

Et voilà. C'est reparti. Je veux quand même lui demander pourquoi il n'envisage pas de réessayer le P à une dose plus élevée, peut-être. Je crois bien que je pourrai lui demander jeudi.

Quoi qu'il arrive, il semble bien que les pages qui viennent soient destinées à avoir un titre un peu différent.

C - Days 50 & 51 C - Day 54

© 2000 Pierre Igot

Retour au tableau chronologique

Retour à la page titre