C - DAYS 46 & 47


Deux journées pas vraiment folichonnes... Surtout la première, avec un beau mal de dos qui réveille le matin dans toute sa splendeur et qui laisse présager le pire. Journée tangente après l'absorption en force des médocs. Abattu une bonne quantité de travail, mais toujours avec l'impression qu'il suffirait de pas grand-chose pour que tout bascule de nouveau dans l'état de crise. Impression non fondée, sans doute, mais bien présente — et c'est donc cette impression qu'il semble falloir combattre.

Temps pourri aussi, avec brouillard, bruine, averses, grisaille continuelle, lourdeur, humidité. Je ne sais pas si ça influe. Ça ne semble pas aider, en tout cas. Mais l'influence va-t-elle au-delà du purement psychologique ? Difficile à dire. En tout cas, beau prétexte pour ne pas tenter de marche au bord de mer. On a donc saisi l'occasion de faire du ménage dans le garage, qui en avait bien besoin, pour préparer l'arrivée de P. et D. pour le début des travaux sur la véranda. Plein de cartons à défaire, de papiers à mettre au recyclage, de choses qui ont traîné tout l'hiver à ranger, un bon coup de balai à passer... En fait d'exercice physique, ça s'est passé relativement bien, sauf que j'ai soudain été pris de crampes extrêmement violentes dans le bas-ventre du côté gauche, qui ont duré une bonne demi-heure. Mais c'est une douleur que je connais, depuis très longtemps, qui ne me fait pas du tout peur, en dépit de sa violence, et j'arrive donc à continuer à faire ce que je fais — jusqu'à un certain point. Il y a quelques années, j'arrivais à enseigner avec de telles crampes. Maintenant, j'arrive à empiler des cartons. Mais c'est le même principe. Si mes souffrances se résumaient à ce type de « crises » de douleur, vous n'entendriez pas parler de moi (en tout cas pas sous cette forme). Il n'y aurait pas de « journal de la prise de C ». Il n'y aurait sans doute pas de C. Il y aurait un être vaguement handicapé à l'occasion par des crises passagères de douleurs violentes sans explication mais sans danger, qui y serait tellement habitué qu'il ne lui viendrait même pas à l'esprit d'en parler, sous quelque forme que ce soit.

Au lieu de cela, vous avez un infirme obsédé par des douleurs informes, faussement localisées, anxieux parce qu'elles « voyagent » et l'affectent partout, dans toutes les parties de son corps (ou presque), dans tout ce qu'il fait, dans tout ce qu'il pense.

L'anxiété est pour le moment maîtrisée à l'aide de pilules, mais, comme dit, c'est tangent, de l'une des pilules je n'ai pas encore réussi à établir l'efficacité, de l'autre, je reconnais l'efficacité, mais j'en connais aussi le caractère temporaire, parce qu'on en devient dépendant. Ça ne crée pas une impression de stabilité, tout ça.

Enter Mr. A. Monsieur le psychiatre m'a donc vu à nouveau ce matin et ce qu'il a à m'offrir — ce qu'il a en fait constaté que je lui demandais, parce que, dit-il, il ne « prescrit » jamais une telle chose, il faut que la demande vienne du patient —, ce sont des séances de psychothérapie. C'est sa spécialité, sa force, dit-il. Il ne croit pas en toutes ces pilules. Elles marchent, elles ne marchent pas, ce sont des méthodes passe-partout, ça ne traite pas vraiment les cas en présence. Il a l'air de penser que, pour moi, la psychothérapie, ça pourrait marcher. Il m'a demandé ce que je voulais de lui. Je lui ai dit sans hésiter : débarrassez-moi de cette anxiété. Anxiety, anxiety, anxiety. Je ne lui demande pas de remède miracle. Je ne lui demande pas de me guérir de tous mes maux. Mais je veux me débarrasser de cette anxiété, je veux pouvoir rester seul sans courir le risque de paniquer, je veux ne plus avoir à me comporter comme un enfant de six ans, je ne veux plus prendre de ces calmants qui m'empêchent de boire un bon whisky ou une bonne bouteille quand j'en ai envie, je veux au moins redevenir l'épave partiellement fonctionnelle que j'étais les trois ou quatre dernières années.

Il m'a demandé quand. Je lui ai dit que je voulais commencer tout de suite. Première séance après-demain vendredi, donc, dans le calme relatif de son cabinet privé au lieu de ces couloirs d'hôpital en travaux permanents. (Pas facile d'entrer dans les détails intimes de sa vie d'adolescent et d'adulte avec un bruit de scie juste de l'autre côté de la cloison en plâtre de cinq centimètres.)

Il est nouveau dans la région, il vient de Winnipeg, au Manitoba, il a l'air surpris du peu d'utilisation qui est faite de la psychothérapie par ici, tous les médecins généralistes semblent se précipiter sur la solution chimique, il me dit même qu'il faudra un de ces jours qu'il rassemble tous ces médecins et leur dise franchement ce qu'il pense de tout cela, moi, je veux bien, je lui souhaite bon courage.

Un psychiatre idéaliste d'ascendance indienne originaire du Manitoba et immigrant récent, c'est exactement ce qu'il me faut.

Journée légèrement meilleure aujourd'hui, alors, parce que le brouillard s'est levé, parce qu'on a avancé (un peu) avec Dr A, que ça va peut-être donner quelque chose, parce que P. et D. sont venus commencer à travailler sur notre véranda, poser le polystyrène isolant sur le gravier de la fondation, couler le ciment, P. est encore en train de lisser son ciment qui sèche tout doucement à dix heures du soir, au moment où je vous parle, ils vont commencer à bâtir la structure demain.

Radieux Je ne me sentais pas particulièrement bien, dans tout ce brouhaha, mais je me suis laissé emporter par le mouvement et je suis allé faire ma marche et prendre des photos. (Je ne fais plus l'un sans l'autre, désormais, c'est trop facile.) S'il y a une nouvelle tendance qui se dessine, c'est que j'ai apparemment plus d'énergie, globalement, et que le mal de dos ne se déclare plus violemment pendant la marche, mais ressurgit progressivement par la suite, sous forme plus ou moins intense. Mais on dirait aussi que j'arrive de nouveau à le maîtriser un peu à l'aide du paracétamol. Ce soir, il est présent, mais pas plus qu'hier alors que je n'avais pas marché. Ce sont de tels signes que je veux observer, ce sont de vraies marques de progrès. J'ai commencé en disant « journées pas folichonnes », je conclus en disant que, au moins, il n'y a pas eu de crise, que ça n'a pas été le beau fixe, mais que ça « a passé ». On ne peut que continuer à suivre l'évolution de la chose.

Côté apparence physique, par contre, je continue à me faire un peu peur quand je me regarde dans un miroir. Dans cette paire de jeans achetée l'an dernier alors que je pesais 10 kilos de plus, le moins qu'on puisse dire est que je nage. J'ai percé un trou supplémentaire au cutter dans ma ceinture, mais le résultat est que ça fait plutôt fermeture de sac à patates maintenant et que, comme le dit C., j'ai l'air dégingandé d'un brave fermier du Kentucky. Il ne me manque plus que la chemise à carreaux, le chapeau de paille et la pipe au coin de la bouche. Alors je mets des t-shirts assez long et je les laisse traîner par-dessus. Ça passe mieux.

Prochain test demain matin de nouveau, vers cinq heures, six heures, quand je serai réveillé par le mal de dos. Son intensité à ce moment-là sera a priori une bonne indication. Si elle est trop élevée, je vais de nouveau me sentir profondément découragé avant même d'avoir mis le pied hors du lit. Dépressif ? Je ne sais pas. Très découragé au-delà d'un certain palier de douleur, lors de la manifestation de certains symptômes, certainement, oui. Reste à voir comment Dr A. va aborder ces questions-là.

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© 2000 Pierre Igot

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