C - DAYS 36 & 37


Dernière journée de régime complet de F. Une dernière dose demain matin et c'est terminé. En d'autres temps, j'aurais pu fêter ça (après 48 ou 72 heures, selon les sources) avec une bonne bouteille, mais là, le problème, c'est que je suis encore sous R et que ce ne serait pas une bonne idée du tout. D'après ce que j'ai pu moi-même ressentir, même une dose d'une pilule de 0,5 mg le matin suffit à me rendre incapable de vraiment « digérer » l'alcool. J'ai joué avec ça pendant une semaine en France il y a deux mois et ça ne m'a pas trop réussi. Mais je vois le psychiatre mardi et, à défaut d'autre chose, on pourra au moins discuter d'une stratégie pour arrêter le R. Cette fois, je ne m'amuse pas à arrêter tout seul sans demander son avis à personne.

Vu hier une des personnes qui viennent chercher leur pain livré chez nous toutes les deux semaines (nous avons quand même, depuis quelques années, un boulanger français qui nous fait du vrai pain, mais il est localisé à 300 km d'ici) et on s'est mis à discuter de ma fatigue, de mon traitement aux antibiotiques, etc. Il s'avère que lui aussi (dans la cinquantaine) a eu des ennuis gastriques dernièrement (il n'avait pas l'air de vouloir entrer dans les détails) et que les médecins lui ont fait passer toutes sortes de tests et d'analyses pour finalement tomber sur le même parasite que le mien. Seulement, le médecin qui l'a trouvé est (voir C - Days 28 & 29) le même qui m'avait fait suivre sans conviction un traitement contre le helicobacter pilorii dans mon estomac après l'endoscopie en 1995. Ici encore, rapporte-t-il, son scepticisme était assez clair et il ne lui a fait prendre d'abord qu'une dose moindre des antibiotiques (je ne sais pas s'il s'agit exactement du même médicament), qui n'est pas parvenue à éradiquer l'organisme. Il lui a fait ensuite prendre une dose plus importante (la même que la mienne, j'imagine), avec les effets secondaires et tout et tout, et ça n'a pas non plus éliminé l'organisme. Il paraît que ce parasite est « notoriously difficult to eradicate » et, comme je l'ai déjà dit, qu'il est loin d'être évident qu'il soit de nature pathogène. Je n'ai lu nulle part moi-même que le parasite était particulièrement difficile à éliminer, mais bon, à mon avis, son scepticisme était fondé dans le cas du helicobacter pilorii en 1995, alors j'ai tendance à le croire. Seulement, avec des médecins qui ne trouvent rien pendant des mois et qui, quand ils trouvent enfin quelque chose, jugent bon de nous jeter à la face leur plus profond scepticisme avant même d'entamer le moindre traitement — qu'ils proposent quand même, notez bien —, comment voulez-vous qu'on avance ou même qu'on ait le sentiment d'avancer ?

Je vais donc terminer le traitement au F demain, je ne suis ni optimiste ni pessimiste, je dois reconnaître que les derniers jours j'ai à plusieurs reprises eu l'impression de me sentir presque « normal », alors même que j'étais sous traitement à forte dose, mais ça pourrait simplement être le C qui commence enfin à faire son effet et qui me ramène simplement à la situation de l'an dernier.

Je ne vais pas m'en plaindre, c'était mon objectif initial après toute cette période de crises et ça l'est encore, mais une guérison complète, ce serait quand même plus agréable.

Oh et puis ça ne sert pas trop de trop penser à tout ça. Quand j'ai le front plissé et que C. me le fait remarquer et me demande de me détendre, de relâcher le plissement, elle a raison. Je crois bien que j'ai toujours été un névropathe d'une sorte ou d'une autre et que ça ne se « guérit » pas, en tout cas pas du jour au lendemain comme je continue à faire semblant de l'espérer. Changer de personnalité, voilà la solution. Seulement, je ne sais pas trop comment on fait — mis à part l'émasculation ou l'implantation de seins en silicone et la prise d'hormones.

(J'ai pensé à un truc ce matin au réveil que je voulais mentionner ici, je trouvais ça intéressant, délicat, « subtil », et puis une heure après il a bien fallu que je constate que j'avais oublié de quoi il s'agissait. Rien de tel pour bien commencer la journée.)

Une partie de moi a l'impression qu'il faudrait que je devienne une personne très calme, très posée, qui ne fasse jamais d'excès, qui ne soit jamais tendue, « stressée », qui évite volontairement, délibérément toute activité susceptible de faire monter la pression, même de quelques degrés seulement — que ce genre d'attitude serait la solution. Par exemple, j'ai regardé un match de foot cet après-midi et tout de suite, j'ai ressenti comme un resserrement de poitrine pas agréable du tout, pas du tout comme la « tension » habituelle qui est tout à fait normale et qui fait partie du plaisir. C'est peut-être parce que cela coïncidait avec le moment apparemment encore et toujours « délicat » dans mon cycle digestif, c'est-à-dire deux heures après la fin d'un repas, mais quand même.

Une autre partie de moi se dit quand même qu'il y a du vrai plaisir à tirer de cette tension, que je ne peux quand même pas m'en priver complètement pour des raisons de « bien-être », que la privation définitive décrite ci-dessus pourrait fort bien me priver à tout jamais de ce bien-être, justement, que le « bonheur » est quand même aussi fait de moments de tension, de véritable joie, et que cette joie ne peut être vécue qu'au prix d'aléas nerveux, d'une « prise de risque » sur le plan psychosomatique — qui ne passe pas nécessairement par la consommation de quelque stimulant que ce soit. Je suis vraiment capable de vivre de vrais moments de ce que j'appelle du bonheur, de sauter littéralement de joie — et je ne vois pas comment de tels moments seraient encore possibles si j'adoptais une attitude comme celle que je décris plus haut.

C'est une vieille dichotomie, je crois bien, mais j'avoue ne pas en voir du tout l'issue. (Et je ne parle même pas ici de l'importance du rôle qu'elle joue dans le travail d'écriture.) La prise de P pendant quatre ans m'a permis de préserver plus ou moins bien la possibilité de combiner les deux aspects, ce n'était pas l'idéal, mais ça allait plus ou moins bien, est-ce que la prise prolongée de C va me ramener au même point, à une moins bonne destination, à une meilleure destination, est-ce que ça dépend de l'attitude même que je prends vis-à-vis de cette nouvelle pilule, est-ce que l'élimination possible du parasite va changer quelque chose dans tout ça ?

Je n'en sais rien. Oui et non. Tout le monde a un avis sur tout. Ça me fait une belle jambe. « Poursuis ta réflexion, mon gars. » Mais je ne sais même pas s'il faut que je la poursuive ou d'ailleurs si c'est une réflexion.

Il y a des jours où l'on se dit que c'est vraiment une belle merde, tout ça.

Et puis d'autres où il semble qu'il suffise de presque rien pour que ce soit presque beau.

La première boîte de C à 40 mg n'est pas encore finie. Je ne fais que commencer la troisième plaque de 10.

C - Days 34 & 35 C - Days 38 & 39

© 2000 Pierre Igot

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