C - DAYS 30 & 31


Premiers signes d'une faiblesse qui risque d'aller en s'aggravant, alors qu'on n'est qu'au cours de la quatrième journée sur dix. D'un autre côté, je vois que, pour un autre type de parasite, la dose recommandée est la même (750 mg trois fois par jour), mais pour une durée de « 5 à 10 jours », ce qui pourrait signifier que, au bout de cinq jours, il y a déjà pas mal de travail qui a été fait, même dans mon cas. En revanche, rien ne dit que les effets secondaires ne vont pas en s'amplifiant, même si l'organisme visé est déjà éradiqué. Il est donc possible, pour le dire simplement et clairement, que je souffre pour rien. (Mais ce n'est pas nouveau.)

La souffrance est encore généralement diffuse, dieu merci, avec surtout un état général de fatigue, de faiblesse et une certaine maladresse qui est presque naturelle pour le grand dadais que je suis (qui s'est toujours cogné partout et a toujours renversé ou cassé toutes sortes de choses, à la plus grande joie de la belle-mère dont la maison est remplie à ras-bord d'innombrables bibelots tous plus fragiles les uns que les autres) mais qui devient ici carrément systématique. Ce que j'aime moins, ce sont les débuts de nausée, le goût de plus en plus mauvais dans la bouche, les passages aux toilettes toujours un peu effrayants par leur côté imprévisible, c'est-à-dire l'impossibilité de savoir dans quel état on va se relever de la cuvette, la peur des vomissements, le mal de dos qui semble vouloir revenir en dépit des calmants.

Mais bon, j'arrive toujours à travailler, à écrire, je m'aventure même à lancer un nouveau poème dans les airs pondu en deux ou trois temps en cours de déchéance physique, j'arrive aussi à rester seul pendant plusieurs heures sans que cela m'affole trop, j'arrive à apprécier les matches de foot que je regarde, à oublier un peu toute cette situation pendant que je les regarde, j'arrive à tenir à jour le site de P. en l'absence de Sam, qui est en lune de miel et qui le mérite bien, je m'amuse même à faire un peu de Flash à cette occasion, encore toute une technologie dont on ne sait pas vraiment si elle a sa place sur le Web mais qui se l'est faite quand même et qui commence à donner des résultats intéressants.

Il faut bien comprendre que la dérive du Web, qui n'était et ne devrait être qu'une vaste encyclopédie hypertextuelle, a beaucoup d'aspects négatifs, mais aussi qu'elle permet à une nouvelle génération d'authentiques artistes de créer des choses vraiment nouvelles — et ça, on n'est pas vraiment encore capables d'en prendre toute la mesure. Le Flash, par exemple, il est peut-être fait avant tout pour créer des publicités animées et tape-à-l'oeil, mais mine de rien il donne à l'individu des outils qui lui permettent de faire bien d'autres choses — et dans certains cas des choses dont il est fort possible qu'elles aient une véritable valeur artistique — et de les donner à voir à qui veut bien y jeter un coup d'oeil. Il me semble impossible, par conséquent, de rejeter en bloc cette « dérive » du Web, qui a certes beaucoup d'aspects commerciaux très répugnants, mais qui a suscité l'apparition ou contribué à l'explosion de toute une nouvelle génération d'outils dont les concepteurs eux-mêmes n'ont qu'une idée très partielle des possibilités qu'elles donnent à l'individu à fibre artistique.

Je ne vais pas aller me promener aujourd'hui (ça a été assez difficile, hier), en dépit du temps radieux, parce que nous allons recevoir la visite d'une compagnie qui va tester l'eau de notre puits en vue d'installer un système de traitement par rayons ultraviolets. Il faut qu'ils voient si l'eau ne contient pas trop de minéraux ou de métaux susceptibles d'entraver le fonctionnement du filtre. Ce filtre devrait éliminer 99,9 pour cent des micro-organismes présents dans notre eau en brouillant littéralement leur ADN, ce qui a tendance évidemment à les tuer tout net. Notre eau a été testée et ne présente pas à priori de risques particuliers selon les normes officielles, mais, dans la situation dans laquelle nous nous trouvons, je crois qu'on ne peut pas être trop prudents, même si cela va nous mettre encore un peu plus dans le rouge. Reste à choisir entre deux fournisseurs et deux systèmes. En attendant, je bois de l'eau de source en bouteille.

J'ai toujours un peu d'appréhension, dès que je me lève de ma chaise de bureau il y a des questions physiologiques qui se posent, mais, au bout de trois jours et demi de traitement, on peut raisonnablement penser que les effets secondaires ne vont pas atteindre le niveau de violence qu'ils peuvent apparemment atteindre dans certains cas. Je l'espère, en tout cas.

On commence aussi tout doucement à se préparer pour le « grand » rendez-vous de mercredi prochain chez le gastro-entérologue à Halifax, dont il y a toutes les chances qu'il nous mette à la porte au bout de cinq minutes avec un poli « vous n'avez rien de grave, monsieur, il faut que vous vous y fassiez, c'est tout ». Évidemment, avec cette histoire de parasite, toute notre stratégie initiale tombe à l'eau. On ne peut plus se présenter à lui en lui disant : « Écoutez, ça fait cinq ans que ça dure, toutes les analyses produisent toujours des résultats négatifs, pourtant il doit bien y avoir quelque chose, est-ce que vous êtes prêt oui ou non à prendre véritablement cet être malade en charge et à faire en sorte qu'il soit testé, analysé, palpé, soupesé, observé sous toutes les coutures afin de déceler ce qui ne va pas ? »

Non, on ne peut plus, parce que, maintenant, il peut trop facilement se réfugier derrière cette histoire de parasite. Tout dépend évidemment de ses propres convictions à ce sujet. S'il pense, comme d'autres, que l'organisme n'est pas pathogène, alors notre stratégie initiale, quoiqu'un peu modifiée, peut encore fonctionner. S'il a le moindre soupçon que l'organisme pourrait être pathogène, on est dans la merde, parce qu'on va le voir deux jours après la fin du traitement et qu'il sera encore impossible, sans doute, à ce moment-là, de dire si ce traitement a eu un effet positif ou non.

Avec la soeur de C. qui nous promet que « nous allons définitivement régler ce problème avant la fin de l'été » et qui a, apparemment, les moyens de nous aider à le faire, cela ne signifierait pas que tout serait perdu, mais ça compliquerait quand même les choses. Il nous faudrait dépendre de la bonne volonté de cette soeur, du médecin de Halifax qu'elle connaît, des pressions que celui-ci est capable d'exercer, etc. Difficile de prévoir ce que cela pourrait donner.

J'ai pris une journée de congé le jeudi et le vendredi est férié, alors il est possible que la fin de ce traitement quand même assez dur soit suivie de quelques journées plutôt agréables. Ce serait dommage qu'un rendez-vous raté (comme celui de 1995 avec cet autre gastro-entérologue dont l'absence de compassion a été la pire que j'ai jamais vue, surtout pour un médecin qui ne connaissait pas le patient et auprès de qui celui-ci avait été envoyé tout à fait selon les règles, avec une lettre de référence en bonne et due forme) vienne gâcher cela.

Mais on n'en est pas encore là. Il faut parfois prendre les choses au jour le jour — et même à l'heure l'heure — et c'est plutôt à ce point qu'on en est aujourd'hui.

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© 2000 Pierre Igot

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