C - DAYS 20 & 21


Je suppose que le corps a différentes façons d'envelopper et d'étouffer l'esprit et que l'esprit a différentes façons d'essayer de respirer. L'une de ces façons de respirer est de se mettre constamment « en abîme » en tentant (vainement) d'établir que le besoin même de respirer relève en fait de l'enveloppe. Tentatives vaines puisque manifestations du besoin de respirer elles-mêmes. Qui est vital. Mais tentatives valables quand même parce que leur objectif n'est pas de réussir, mais, comme dit, de mettre en abîme, de repousser la question un peu plus loin, jusqu'au prochain tour, la question de savoir s'il y a vraiment un corps, un esprit et un conflit (inévitable).

J'apprends. J'apprends que le « dérèglement immunitaire » n'est pas à proprement parler une manifestation du conflit entre le corps et l'esprit, mais un mécanisme qui l'utilise. Oui, le dérèglement est un mécanisme. Pas déréglé, puisqu'il marche très bien. Comment dérégler le mécanisme du dérèglement sans y contribuer, là est l'une des questions.

On est entré depuis deux jours dans une phase de transition, je crois bien, avec des « crises » relativement brèves espacées de périodes presque « normales », de nature presque semblable à la situation de l'année précédente (dans sa majorité), à laquelle le premier objectif de toute cette démarche est de revenir. Trois semaines de C, dont une de double dose. Cela signifierait donc que le C marche. Restent ces « crises » encore trop violentes, trop présentes, cette faiblesse sous-jacente qui est celle d'un infirme, pas celle d'un malade essayant de lutter contre sa maladie. Prochaine étape dans la réalisation de l'objectif, je suppose.

Failli avoir de nouveau une crise de panique hier après-midi, seul, en attendant la visite d'un ami. Enfin, impression que cela a failli arriver. Parce que, d'un autre point de vue, on en est quand même resté assez loin. Toujours est-il que, après une promenade « normale » et un peu de travail physique supplémentaire qu'il aurait peut-être fallu éviter (d'où l'impression d'infirmité mentionnée ci-dessus, parce que ce n'était quand même pas grand chose), il y a eu comme un blocage au niveau du torse, que même le fait de s'allonger et de tenter par tous les moyens de se détendre n'a pas réussi à faire passer. (Je passe sur toutes les petites douleurs secondaires à droite et à gauche accompagnant la quasi-crise.) L'ami est arrivé, j'ai fait comme si de rien n'était, ça a encore duré une petite heure, et puis j'ai fait à manger, on a mangé ensemble et c'est passé (et ce n'est pas revenu depuis). Il semble donc qu'il s'agissait d'un « blocage » d'origine intestinale (pas au sens propre, bien entendu, sinon je ne serais pas là pour en parler), sans doute provoqué par des gaz, mais je ne suis toujours pas capable d'amener la détente nécessaire pour que ce genre de blocage passe. Il faut — en l'occurrence — l'intervention de la nourriture. Arme à double tranchant, bien entendu.Il y a quelques jours, j'aurais dit : « Je suis lassé de ce cycle dont il semble impossible de sortir. » Je ne dis plus ça. Je ne le pense plus vraiment. Cela ne me lasse plus. Le cycle est encore là, mais peut-être qu'il s'allonge, qu'il se déforme, qu'il perd de sa netteté morbide et redevient quelque chose d'informe dont je ne perdrai plus la maîtrise qu'à l'occasion, comme par le passé.

Avant-hier, passé une bonne partie de la journée à démonter et à remonter un serveur au lecteur de DAT récalcitrant. Ça distrait.

Ça ne distrait pas suffisamment, en l'occurrence. Parce qu'il a bien fallu faire une pause pour le repas et que je me suis retrouvé contraint de m'alimenter au « Gréco », espace de petit établissement de restauration rapide peu avenant au menu plutôt déprimant. J'ai commandé le fameux « sous-marin végétarien », qu'ils préparent, semble-t-il, sur place en faisant revenir une infime portion de légumes « frais », dont ils garnissent un morceau de pain blanc tout ce qu'il y a de plus industriel coupé en deux et qu'ils recouvrent d'une grosse dose de fromage dont il vaut mieux ne pas connaître le nom, avant de le passer sous le grill pendant quelques minutes. Le problème, c'est que, dès la première bouchée, je me suis mis à avoir cette sensation de brûlure dans le ventre — qui n'avait donc rien à voir, en l'occurrence, avec la nature de ce que j'ingérais, si ce n'est pour ce qui est de l'appréhension que l'engin ne pouvait pas s'empêcher de susciter, je suppose — que je n'avais pas ressentie depuis quelques jours et qui m'a par conséquent immédiatement donné l'impression de « revenir en arrière », de perdre à nouveau le peu de terrain que j'avais pu gagner. J'ai quand même mangé la chose, je ne sais pas trop comment, mais j'ai fini par mendier auprès d'une collègue de C. quelques quartiers de pomme fraîchement découpés pour faire passer non pas tant le goût (au fond vite oublié) que l'impression de n'avoir rien mangé de bon, de nourrissant, d'utile — impression plus que fondée, en l'occurrence — et d'avoir à réparer quelque chose. Il y a un abîme qui sépare la nourriture aux vertus « réparatrices » que j'essaye de manger ici en privé de ce qui se sert en public et dont se nourrissent en grande partie la grande majorité les habitants de ce coin-ci de l'univers. Et je suis quand même censé être du bon côté du précipice... Quoi de plus décourageant, alors, de voir tous ces gens s'empiffrer ainsi sans aucun souci alors qu'on fait soi-même tous les efforts possibles et imaginables pour éviter les maux que leur type de régime est censé susciter et qu'on finit par être apparemment dix fois plus mal en point qu'eux ?

Mais bon. Ce genre d'épisode (avec crise ou sans) m'arrive une fois tous les deux mois. Pour le reste, je sais bien que ce n'est pas vraiment ce que j'avale qui est en cause (à quelques exceptions près peut-être). Il y a beaucoup de choses comme ça d'ailleurs dont je sais — soit parce qu'on me l'a prouvé « scientifiquement », soit parce que je m'en rends bien compte intuitivement — qu'elles ne sont pas en cause. C'est bien là l'impasse dans laquelle on se trouve. Rien n'est en cause, si ce n'est un hypothétique déséquilibre chimique hypothétiquement corrigé par un médicament au fonctionnement hypothétiquement compris.

Je suppose qu'on va continuer à chercher.

C - Days 18 & 19 C - Days 22 & 23

© 2000 Pierre Igot

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