C - DAYS 18 & 19


Je crois pouvoir dire que la première chose à partir est ce dégoût de tout qui te prend dès que tu retombes dans un de ces creux où rien ne va plus, où tout fait mal, où on a de nouveau l'impression qu'on ne sortira jamais du cycle infernal. Ce dégoût n'est pas encore parti, mais je crois qu'il commence à partir. Je ne le ressens plus, en tout cas, avec la même intensité. Il ressurgit de temps à autre mais pas pour longtemps. Je mange mon bol de céréales le matin et ça passe. Avant, j'arrivais parfois aux deux tiers et puis il y avait un blocage et je ne savais pas s'il fallait que je me force ou pas. La journée commençait mal. Elle commence toujours mal (le réveil et le lever sont toujours les moments les plus difficiles), mais sans ce dégoût. Je suppose que les choses vont s'éliminer l'une après l'autre. (Peut-être d'ailleurs que la panique elle-même est déjà partie et ne reviendra plus. Mais comme il s'agit de crises imprévisibles, il faudra plus de temps écoulé pour m'en convaincre.)

Je n'ai pas encore tout à fait la force de me remettre à écouter autre chose que de la musique classique la plus douce qui soit (les autres types de classique, le rock et le funk surtout créent une tension habituellement exaltante qui semble ici se retourner contre le corps et aggraver la situation), mais je commence de nouveau à l'envisager pour très bientôt. J'ai reçu quelques vieux disques de The Jam par la poste, ainsi qu'un single de Bowie, et je voudrais y goûter. Dans les prochains jours, si tout va bien. Les nouveaux petits extraits de Prince sur le site, par contre, c'est évidemment autre chose. Je ne peux pas résister. Mais ce sont de courts extraits et je prends mes précautions : avec le son sale d'un stream RealAudio, mieux vaut éviter l'écoute au casque. Je mets les hauts parleurs pas trop fort. C'est déjà bien. Ça me donne envie, en tout cas. Au point où j'en suis, toute envie est une bonne nouvelle.

J'ai mal à la gorge d'avoir trop discuté avec les amis qui sont venus me tenir compagnie ces derniers jours. On ne peut pas tout avoir.

Je n'ai pas osé, par contre, ces deux derniers jours, sous le prétexte du temps maussade, tenter l'aventure de la promenade au bord de mer. Le mal de dos est quand même là sans ça, à la même heure, ce qui fait penser à un cycle interne dont les activités externes ne font qu'aggraver ou atténuer les manifestations selon les jours. Digestif ? Qui sait si on le découvrira un jour ? Il me faudrait, en tout cas, un médecin qui s'intéresse de sacrément près à chaque recoin des dix mètres de mon appareil digestif. Est-ce que cela existe encore, des médecins qui s'intéressent à leurs patients ? Qui veulent faire autre chose que du travail à la chaîne ? Est-ce que cela peut encore exister ?

Je suis en train de lire un des premiers livres de la fameuse catégorie « SELF-HELP » que j'évoquais antérieurement dont l'auteur semble manifester un tel intérêt et avoir le savoir et l'expérience nécessaires pour que ses patients puissent en bénéficier. Il s'agit d'un ouvrage intitulé Power Healing (titre trop racoleur, évidemment, sans doute le choix de l'éditeur) d'un certain Leo Galland, médecin de son état mais converti à une certaine nouvelle approche dont je vous passe les détails. J'étais tombé sur un extrait sur le Web, j'avais trouvé cela étonnamment bien écrit et surtout convaincant du point de vue scientifique (dans les limites de ce que je peux saisir de la dimension scientifique de ce domaine) et j'ai donc acheté le livre. Et c'est le premier livre de cette catégorie que j'ai vraiment envie de lire, soigneusement, jusqu'au bout, et dont j'ai envie d'essayer d'appliquer certaines suggestions. Bien sûr, je sais que, si je cherchais un peu, je trouverais sans doute assez facilement une critique d'un « vrai » médecin révélant les faiblesses de cette approche, les erreurs, le manque de preuves, etc. Mais je m'en fiche. Ce que raconte ce bonhomme tient debout. Les observations qu'il fait sur le système sont justes. On n'est vraiment pas dans une bonne période. À lire ce livre, on a l'impression d'un combat perdu d'avance. Il faudrait presque que je puisse aller le voir lui personnellement dans son cabinet à New York. À lire ce livre, on dirait que c'est la seule solution. Mais ce n'est de toute évidence pas son intention. Il ne cherche pas à s'attirer des clients des quatre coins de la planète. Il me faut donc essayer d'utiliser ce qu'il dit, pas de chercher refuge ailleurs. Mon refuge est ici, j'ai choisi ce lieu pour cela, il faut juste que je trouve un moyen de nous rendre compatibles. Cela doit être possible, quand même. On n'est pas au Malawi.

J'ai maintenant une brûlure entre deux vertèbres au milieu du dos, à peine perceptible en tant que telle parce qu'elle est couverte par le « bruit » de la douleur gastrique habituelle, mais c'est le fait que la douleur traverse ainsi tout le torse qui est une de mes sources d'angoisse. C'est une douleur non « localisée », ce n'est pas juste un organe isolé qui déconne un peu, c'est une douleur à la fois diffuse et vive, cyclique et imprévisible, itinérante et lancinante. Oh, je n'ai pas mal au petit doigt de la main droite ni à la cheville du pied gauche, mais c'est quand même toute une grande « région » du corps qui est concernée, qui est susceptible de laisser à tout moment percer à un endroit inattendu ou non une douleur connue ou non, violente ou sourde, musculaire ou osseuse, organique ou minérale. On ne sait pas. On ne sait rien de tout ça. On a déjà assez de mal à prévoir le temps qu'il fera dans deux ou trois jours.

La prise de C est d'une certaine manière une façon de supprimer ce besoin de prévisibilité. Je n'aurai plus, j'espère que je n'aurai plus besoin de me demander ce que je ressentirai l'heure suivante, le jour suivant, la semaine suivante. Pourquoi ? Parce que la douleur sera redevenue plus ou moins prévisible, justement. Qu'elle n'arrivera plus à me surprendre autant et avec autant de force. Je sais bien que j'aurai encore des « crises », des flares comme on les appelle de façon intraduisible en anglais (flambées ?), mais, si je me fie à ce qui se passait l'année dernière, ces crises ne poseront pas de problème majeur. Elles resteront « gérables ». La question — pourtant essentielle — de leur origine ne se posera pas avec assez d'intensité pour que l'absence de réponse immédiate puisse susciter la panique, ni même l'angoisse d'ailleurs. Je serai plus ou moins « insouciant » de nouveau vis-à-vis de la maladie, à juste titre si on en croit les examens cliniques, évidemment, mais de façon totalement contradictoire par rapport à ce que je ressens et qui me dit sans aucune ambiguïté possible (ces temps-ci avec beaucoup de clarté encore, bien entendu) qu'il existe bien un problème tout à fait réel quelque part et que ce problème reste mystérieux et irrésolu. Simplement, je ne peux pas me détruire physiquement et mentalement à essayer d'élucider ce problème de moi-même sans aucune aide extérieure. Cela n'a pas de sens. Ce serait du masochisme pur. C'est au fond ce que j'ai tenté de faire au début de l'année avec l'arrêt du P et on voit où cela m'a conduit. Je ne pourrai plus jamais envisager sérieusement l'arrêt complet d'un traitement de ce type sans avoir les meilleures garanties du monde concernant l'engagement de tout un système à examiner véritablement, honnêtement, scientifiquement, objectivement, avec les meilleurs outils et la meilleure foi possibles le cas problématique que je représente. Or un tel système n'existe de toute évidence pas à l'heure actuelle. Il est même très loin d'exister et il y a fort à craindre que les personnes intéressées par le dénouement de toute cette aventure n'aient à faire preuve de beaucoup de patience et à attendre les résultats de mon autopsie.

Si bien sûr autopsie — et autopsie exhaustive — il pourra y avoir. Ce qui est là encore très loin d'être évident.

De mon point de vue, il y a eu un début, très clair, à une date très précise (fin janvier 1995 pour être exact) — et il n'y aura sans doute jamais, à moins d'un sacré coup de bol, de fin.

C - Days 16 & 17 C - Days 20 & 21

© 2000 Pierre Igot

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