C - DAY 8


De nouveau pris d'un sentiment d'injustice, puisque depuis la marche hier après-midi au bord de mer dont j'espérais qu'elle prolongerait l'apaisement, c'est de nouveau une combinaison de douleurs abdominales et dorsales à la limite du supportable — limite dont j'ai à chaque fois le sentiment qu'elles essayent de la repousser, évidemment. Or je n'ai absolument rien fait, rien ingéré qui explique un tel retour en force. Je le sais.

On pourra toujours dire, bien entendu, que c'est le retour à la routine après la « distraction » du jour précédent qui a laissé les symptômes ressurgir dans toute leur virulence. Seulement je n'avale pas un truc pareil, moi. Je n'ai quand même pas une cervelle complètement dégénérée. Je sais quand même la différence entre le mal « normal » et le mal « anormal ». Je ne confonds pas tout.

Je sais qu'on n'est qu'au jour numéro huit, qu'il faut encore être patient. Mais je sais aussi — et ça peu de gens semblent prêts à l'admettre — que, si progrès il y a (et bon dieu je l'espère !), il ne s'agira que du retour du masque qui rend le problème tolérable sans le régler le moins du monde. Certes, selon certaines hypothèses, mon problème pourrait relever en partie d'un détraquement « auto-immunitaire » et, de ce point de vue, les substances qui s'ingèrent dans les relations entre ma cervelle et mon système immunitaire ont peut-être des vertus curatives — mais ce sont des hypothèses que rien de véritablement scientifique n'est venu confirmer jusqu'à présent, alors je ne peux qu'y croire ou ne pas y croire. Mon sentiment en tant que victime de ce syndrome est qu'il y a un peu de vrai dans cela, mais que ce phénomène « auto-immunitaire » n'en reste pas moins une réaction à quelque chose de plus physiologique dont la nature reste encore mystérieuse.

Alors dans tout ça quand ça me reprend je trouve ça injuste, cruel, absurde. Ces sentiments n'aident sûrement pas à faire passer la chose, mais je ne peux pas non plus me résigner. Quant à ignorer, à prétendre que la douleur n'est pas là quand elle est si violemment présente, il ne faut quand même pas se faire d'illusions. Les gens qui prétendent qu'il suffit d'un esprit fort pour arriver à cela n'ont jamais véritablement ressenti de telles souffrances. J'ai eu mal avant, d'un mal que j'arrivais à circonscrire de cette manière. Aujourd'hui, ce n'est pas la même chose. Ce n'est d'ailleurs pas une coïncidence si le seul médecin que je connaisse qui souffre lui aussi (dit-on) d'une maladie intestinale (maladie de Crohn, en l'occurrence) est précisément celui qui n'a pas hésité longtemps avant de me prescrire des calmants lorsque cela n'allait vraiment pas, il y a deux mois, et que mon médecin à moi était parti en vacances. Je ne crois pas que c'était pour lui une façon de se débarrasser de moi.

Quand je lui ai demandé s'il ne voulait pas devenir mon médecin généraliste, évidemment, il a dit qu'il ne pouvait pas. Mais que je pouvais toujours venir le voir en « consultation externe » si je voulais de nouveau parler de tout cela avec lui. Dans le monde dans lequel nous vivons, je ne pouvais que lui dire merci. Je lui ai même envoyé une carte.

J'ai passé quelque temps ce matin dans le jardin au soleil à aider C. Cela m'a légèrement soulagé. Je viens d'attraper une grosse tique qui se promenait dans mes cheveux, sans doute à la recherche d'un endroit pour l'installer. Non, je n'ai pas la maladie de Lyme. Je me suis fait tester — et puis je n'ai pas vraiment les symptômes. Et de toute façon il semble qu'il faille que la bête reste accrochée au moins 48 heures pour que l'agent infectieux puisse se transmettre. Et je les ai toujours attrapées bien avant cela, pour autant que je me souvienne. J'ai un petit caillou dehors que j'utilise pour les écraser contre une plus grosse roche une fois que je les ai attrapées entre le pouce et l'index. (Impossible de les tuer avec les doigts.) C'est vicieux, mais c'est relativement bête, quand même.

Merde foncée, merde claire, presque jaune, cela ne veut sans doute rien dire, mais qu'est-ce que j'en sais, si ça me fait mal, avant et après, je suis en droit de me demander, quand même, non ?

Non. Soignez-vous vous-même, mais ne soyez pas curieux. Suivez le manuel (qu'on ne vous a pas donné). Prenez les pilules qu'on vous donne et amusez-vous à deviner de quels effets secondaires vous allez souffrir. Refusez de prendre les pilules qu'on vous donne et allez vous faire voir chez les naturopathes. Prenez leurs croquettes pour chien importées de Chine et priez le dieu des sciences imparfaites que vous avez assez de choses en commun avec ces Chinois-là pour qu'elles ne vous pètent pas à la figure ou dans les viscères. Expérimentez, expérimentez, si jamais il vous arrive quelque chose, on s'intéressera peut-être de nouveau à vous. En attendant, vous êtes allergique au contenu de la fiole que vous tenez contre votre poitrine et qui contient justement des extraits de tous vos fromages au lait cru préférés. Je le sais, votre bras a cédé sous la pression de ma main. Mettez sous la langue tous les soirs avant de vous coucher quelques gouttes de cette eau qui se souvient que je l'ai exposée à certaines doses bien précises d'ondes électromagnétiques la semaine dernière et n'oubliez pas de faire remplacer tous vos plombages par du sans-plomb à la prochaine station-service.

J'ai oublié de lui dire que je travaillais devant un grand moniteur à longueur de journée et que ça risquait d'interférer, dans tout ça. Vous devriez peut-être changer de métier. Travaillez pour le Grand Manitou Universel de la Santé des Êtres dont je suis le porte-parole émigré d'Allemagne de l'Est histoire de me faire un peu de blé. Suivez mon régime sans farine pour que je m'en fasse encore un peu plus. Et ne venez plus me voir parce que je déménage dans la grande ville où je pourrai proportionnellement arnaquer plus de monde, forcément.

Où on va.

C - Days 6 & 7 C - DAYS 9 & 10

© 2000 Pierre Igot

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