C - DAY 1


Petit ovale blanc, avec un creux assez profond au milieu. Sans doute au cas où on voudrait diminuer la dose. Il faut alors que ça casse facilement. Même dans les doigts fébriles d'un drogué de la dernière espèce. (Il paraît que, pour l'overdose, c'est pas l'idéal. Même pas de dégâts permanents dans les organes. Juste un peu de nausée, la nécessité d'un lavage d'estomac. Bref, encore un mythe.)

Ou même carrément éliminer progressivement le besoin. Casser en deux, puis en quatre, puis en huit... Ne risque pas d'arriver de si tôt. Car voyez-vous l'idée fondamentale de l'arrêt du traitement, c'est de trouver dans le corps des ressources « naturelles » pour la lutte contre la chute le long de la pente tendancielle, une capacité « naturelle » de supporter la souffrance — me faites pas chier avec l'idée que ça ne mériterait pas cette appellation — et, à terme, de l'éradiquer. Problème numéro un : d'après ce qu'on entend ici et là, l'éradication ne se réalise vraiment que chez les tordus qui finissent par devenir adeptes de telle ou telle « religion du corps » et à y croire à tel point qu'ils ne se rendent même plus compte qu'ils souffrent encore. Ou en tout cas qu'ils n'en parlent plus à leur médecin. Case closed. « Ah oui, moi, maintenant, je suis un régime alimentaire adapté à mon groupe sanguin. » Moi, à la longueur de mon pénis. Curieusement, ça marche pas. Pourtant, il rentre bien.

Problème numéro deux : quand ça ne marche pas — quand la victime a encore suffisamment de bon sens pour ne pas se laisser embarquer par les dernières trouvailles de la clique pseudo-scientifique qui nous invente toutes ces conneries —, l'arrêt du traitement a finalement pour simple effet le retour à la situation antérieure de souffrance chronique (en pire, même, parfois, assez souvent). Et alors là, la seule excuse, au fond, c'est : souffrez dans ce monde, vous serez récompensé dans le suivant.

Pas besoin de vous faire un dessin.

Ça fait treize ans qu'elle en prend. Pas d'effet nocif apparent, ni même détecté dans les tests. C'est que cette molécule est un produit quand même assez bien ciblé. TREIZE ANS. Si j'ai treize ans de vie calme, de souffrance tolérable, oubliable, de sensations, d'émotions (qu'elles soient vraies ou fausses), de sensualité devant moi, je prends. Sans hésiter. Est-ce si difficile à comprendre ? Même si dans trente ans j'ai un cancer, une forme quelconque de démence, un foie qui lâche. Qu'est-ce que j'en ai à foutre. Il faut faire les comptes, parfois.

En plus, comme dit l'autre, ça me règle tous mes problèmes éventuels d'éjaculation précoce. Parce que quand j'ai arrêté l'autre, alors là, je vous dis pas. Non seulement précoce, mais même pas culminante. Presque à pisser du sperme, sans montée, sans pointe. D'accord, c'était temporaire, transitoire, mais quand même.

Là encore, on aurait pu inventer des stratagèmes, des techniques, du sexe pseudo-tantrique pour essayer de régler le problème par des moyens « naturels ». Mais quelle discipline. Du sexe discipliné. Pour le bien de l'humanité. Mouais. Allez vous faire foutre.

Y a le problème de l'alcool. J'ai vérifié. Ce n'est pas pire ni mieux qu'avec l'autre. Comme avec l'autre ça ne s'est vraiment pas mal passé du tout, j'ai peu de craintes. J'ai même déjà bu un quart de verre de blanc avec mon repas du soir. Aucun effet.

Vin, café, chocolat, huile d'olive. Dans les trois premiers, il y a toute la distance qui me sépare des gourous. Pour la dernière, tout est dans la façon de l'utiliser. Combien osent faire ce que j'ai fait avec pour souper ? C'est bien beau d'avoir une bouteille, encore faut-il savoir l'ouvrir, verser, doser, mélanger, chauffer, utiliser. Dans ce simple produit se concentre toute la question du savoir-faire et se révèle au grand jour tout le fossé énorme qui sépare encore le commun des mortels de ce côté-ci de l'océan des véritables vertus et délices de l'ingestion alimentaire. Et ce n'est qu'un produit parmi mille autres. Le cerveau nord-américain naît avec une date limite de consommation. Et l'ignore. Vous auriez dû voir ce zouave de la « belle province » qui se trémoussait dans sa chaise en plastique et qui prétendait refléter l'amour de la bonne chère de ce brave peuple qui mange en mettant les pieds dans le plat et en estimant que toute réaction des papilles gustatives mérite une exclamation à au moins 100 décibels — au cas où leur différence ne se percevrait pas.

Silence dans la salle. Essayez donc un peu de flirter avec votre nourriture et de laisser d'autres y trouver leur compte aussi.

  C - Days 2 & 3

© 2000 Pierre Igot

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