A 11/04/2002


Première pilule blanche depuis trois mois : rechute ou ralentissement très progressif (un mois, deux mois, trois mois…), malgré tout positif, des cycles du mal ?

L’étrange est que, dans les moments qui ont précédé celui où j’ai pris la décision de la prendre, alors que je roulais à cent à l’heure sur l’autoroute vers une destination sans conséquence, je ne me sentais pas vraiment anxieux ni paniqué. Non, si je l’ai prise, c’est avant tout et surtout pour calmer la douleur, qui semblait, à ce stade, persister à ne pas vouloir s’en aller d’elle-même. (Et, bien entendu, je ne saurai jamais combien de temps il lui aurait fallu pour s’en aller effectivement sans intervention de ma part.)

La douleur s’est-elle vraiment calmée, alors ? Oui, assez pour que le reste de la soirée soit de nouveau du bon côté de l’absurde. Assez pour que je puisse avoir la force mentale d’écrire ces quelques paragraphes, maintenant, à la fin de ladite soirée, alors que les effets de la pilule se sont enfin fait pleinement sentir. (Malgré son mode d’absorption — sous la langue — et la rapidité d’action qu’il est censé lui conférer, je la trouve bien lente à agir vraiment, moi. C’est sans doute parce que j’ai du fait même de ma taille une plus grande surface de chair à couvrir avant d’arriver aux endroits visés. C’est aussi, d’après Dr D., vue depuis, parce que, si l’effet de la pilule en question sur l’anxiété ou la panique est généralement immédiat, l’effet calmant sur les muscles — et donc sur la douleur qui les habite — aux quatre coins du corps est forcément plus lent à venir.)

Je pourrais, comme à chaque fois, passer des heures à tenter de décrire le mal, avant le mal, après le mal, pendant le mal, ce qui distingue toutes ces phases, ce qui fait de l’une un problème de fond qui me semble globalement supportable et de l’autre une horreur absurde dont je ne connais aucun autre moyen de me défaire. Le problème est bien que les choses ne sont pas si clairement distinctes. Il y a bien des jours où j’ai le sentiment d’avoir quelque chose qui s’apparente à une « crise » et que je parviens à gérer avec succès sans recours à la chimie. Mais il reste malgré tout quelque part une frontière, une limite que le mal est toujours plus ou moins prêt à franchir et que je n’ai que des moyens bien insuffisants de percevoir.

Mardi après-midi, par exemple, tout allait « bien », jusqu’à ce qu’on aille faire notre promenade habituelle au bord de mer. Il faisait doux, mais le vent chaud du sud était brutal. Nous l’avions dans le dos à l’aller et, au retour, nous lui avons évidemment fait face. La marche est alors devenue nettement plus difficile et a requis une certaine concentration de tout le corps, qui n’est peut-être pas étrangère à ce qui a suivi (mais qui sait). Cela ne m’a pas, sur le coup, paru particulièrement pénible, mais, en arrivant à la maison, vingt-cinq minutes plus tard, et en me penchant pour délacer mes chaussures, j’ai tout de suite senti que les choses n’allaient plus trop bien. C’était de nouveau comme si — j’ai déjà eu l’occasion de décrire cela antérieurement — quelque chose m’avait raclé les tripes de l’intérieur et transformé mon intestin en couloir aux parois écorchées vives.

Il ne s’agissait pas d’une sensation nouvelle, comme dit, et j’avais donc encore, à ce stade, bon espoir que ce ne serait que passager et « maîtrisable ». J’ai fait ce que je fais habituellement après une promenade un peu vigoureuse : je m’assieds à mon bureau, je travaille un peu, histoire de laisser à mes glandes sudoripares le temps d’arrêter leur cirque (je suis toujours trempé après la moindre activité physique un peu intense) et au reste de mon système celui d’essayer de retrouver son état « normal ».

Cette pause a parfois pour résultat de mettre en branle mon large intestin et de m’envoyer aux toilettes pour parachever le « décrassage ». Cela a bien été le cas cette fois-ci. Cependant, la chose s’est faite dans la douleur et de façon non satisfaisante. J’avais l’impression d’essayer de pousser un système endolori, malade de partout. Ça ne sentait pas bon non plus.

Ce « soulagement » qui n’en était pas un n’a pas eu non plus d’effet apaisant sur le début de crise perçu intérieurement au retour de la marche. Au sortir de la douche, nous étions secs et nus, il faisait doux dans la maison, il n’était pas encore tard dans l’après-midi, et nous avons fait l’amour, lentement et savoureusement (sans que j’aie encore eu l’occasion de parler de ce que je ressentais).

Là encore, après coup, j’ai vaguement espéré un soulagement de symptômes, qui ne s’est pas vraiment produit. Le repas très léger du soir (soupe, yaourt et banane) a bien un peu calmé les choses, mais il ne pouvait que s’agir d’un répit digestif, artificiel. J’espérais quand même que cela ne serait pas le cas.

Au réveil, ce matin, cependant, la douleur au bas du dos était trop lancinante, trop incontournable. J’aurais peut-être dû appliquer de la chaleur. Au lieu de cela, je me suis levé et j’ai essayé de prétendre pouvoir fonctionner comme si de rien n’était. J’ai plus ou moins tenu jusqu’au repas de midi, mais ce dernier n’a pas eu la gentillesse de continuer à améliorer les choses, en dépit de sa nature très ordinaire et inoffensive. La première moitié de l’après-midi s’est donc passée à craindre le pire, qui n’est pas venu jusqu’à la tête, mais a bien envahi l’abdomen quand même.

C’est alors que j’ai décidé de prendre la voiture pour aller faire des courses, en me disant qu’on verrait bien. J’ai toujours quelques pilules dans ma sacoche. J’ai plus ou moins tenu jusqu’aux derniers kilomètres, bercé par la voix de Billie Holiday et un mélange de pensées sur P. et sur notre voyage en France, mais, à cinq kilomètres du magasin, j’ai décidé qu’on avait bel et bien franchi de nouveau cette fâcheuse limite et que le seul ressort réaliste était la chimie. Le mal aux sinus et dans le ventre était tout simplement devenu trop insidieusement fort.

Il a fallu près d’une heure à la pilule pour vraiment commencer à faire son effet — et j’en profite encore maintenant, à onze heures, alors qu’il est temps de s’endormir.

On verra bien ce que demain nous réserve.


© 2002 Pierre Igot

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